Dans cette
dernière parti concernant les Khmers Rouges, nous allons voir
comment cette histoire a pris fin et tenter de comprendre ce qui s'est
passé pour que cette escalade se mette en place. A ce jour, (
Decembre 2002 ) le procès des rares Khmers Rouges en captivité
n'a toujours pas eut lieu.IL est peu probable que justice soit rendue
un jour devant un tribunal pénal international digne de ce nom.
Les Khmers, quel que soit leur couleur répugnent à exposer
leurs sentiments et la notion de réconciliation Nationale est
un mot fort pour tous ceux qui aspirent a une paix stable et durable
dans un pays a reconstruire.
Comment
cela a-t-il été possible ?
Extraits
du dernier chapitre du livre de Marek Sliwinski Le génocide Khmer
rouge
L'explication
des mobiles des crimes et, de surcroît, de ceux de crime contre l'humanité,
a toujours fasciné l'imagination des chercheurs.
A l'issue
de la Deuxième Guerre mondiale, nombreux furent les travaux qui ont
tenté d'expliquer les crimes perpétrés par les nazis. Influencés au
départ par l'approche freudienne, ils ont essayé de démontrer le lien
entre racisme, type de personnalités, structure de la famille et phénomène
fasciste en tant que tel. Avec la découverte tardive de l'univers exterminateur
soviétique, l'intérêt s'est déplacé vers l'analyse des origines, de
la structure et du fonctionnement des systèmes totalitaires". Puis,
sont apparus les ouvrages démontrant le lien entre le contenu de l'idéologie
ou des croyances, et la nature existentielle du système. Le plupart
des ouvrages relatifs à la période des Khmers rouges au Cambodge appartiennent
à cette dernière catégorie.
L'ouvrage
collectif édité par Karl Jackson démontre d'une manière évidente la
relation entre l'idéologie des Khmers rouges et le caractère exterminateur
de leur système politique. Deux hypothèses, suscitées par cet ouvrage,
méritent une attention particulière.
La première,
évoquée par Jackson, insiste sur l'effet d'une rencontre entre idéologie
communiste intransigeante et doctrine de l'autarcie totale. Il en a
résulté une dégradation de l'idéal révolutionnaire initial, et cela
dans un climat de privations extrêmes, de chambres de torture et de
famine généralisées.
Quant à
l'hypothèse de François Ponchaud, elle démontre comment la rencontre
entre communisme intransigeant et doctrine karmique a contribué à l'ampleur
de l'extermination. Justifiant les inégalités sociales et les souffrances
des opprimés par les mauvaises actions commises dans les vies antérieures,
la doctrine karmique a été considérée par les révolutionnaires khmers
rouges comme un véritable " opium du peuple ". D'un autre côté, l'individualisme
bouddhique a empêché une résistance organisée au régime, chacun ne s'occupant
que de son propre avenir.
On peut
pourtant se demander si les affinités évoquées dans ces hypothèses constituent
la cause première des exterminations commises par les Khmers rouges,
ou si elles n'en sont qu'un corollaire. Les idéologies extrémistes sont
connues de tous mais elles ne sont que rarement associées avec les abominations
commises. L'engrenage de la violence et de la cruauté dépend probablement
d'un syndrome de variables spécifiques où les prémisses d'ordre moral
et idéologique jouent un rôle relativement secondaire. Du point de vue
strictement béhavioriste, l'engrenage de la violence doit résulter d'un
processus de conditionnement particulier auquel la société ou certaines
parties de cette société sont soumises. Dans le cas précis du Cambodge,
on peut ainsi distinguer trois facteurs qui, selon toute vraisemblance,
ont joué un rôle essentiel :
- 1 - le processus de conditionnement des Khmers rouges;
- 2 - la généralisation de l'état "agentique" des individus sous la
domination des Khmers rouges;
- 3 - le processus de désintégration de la société khmère.
Le processus
de conditionnement des jeunes Khmers rouges est possible à reconstituer.
Pour le recrutement, les Khmers rouges embrigadaient dès l'âge de 12
ans des jeunes gens des deux sexes venant des coins les plus reculés
du pays. Séparés de leur familles, leur développement affectif se trouvait
subitement arrêté. Appartenant souvent aux peuples primitifs vivant
dans un état de guerre tribale quasi permanent dans les zones forestières
du nord-est, ils constituaient un matériel humain particulièrement facile
à initier à l'usage de la violence la plus extrême. Les séances d'endoctrinement
idéologique, communes à toutes les organisations de jeunesse communiste
du monde, étaient complétées par des séances dites de " durcissement
des coeurs et des esprits " durant lesquelles ces jeunes adeptes étaient
initiés à la pratique de la torture et des assassinats.
Les informations
recueillies sur le passé des dirigeants et des cadres khmers rouges
sont aussi très concluantes sur un autre point : celui du métier exercé
auparavant. Nous n'en avons recensé qu'un seul, celui d'enseignant dans
le primaire ou le secondaire. Il est à noter que les ex-enseignants
furent aussi les principaux responsables du système carcéral. Comme
nous l'avons déjà dit, les jeunes Khmers rouges étaient donc encadrés
par des personnes qui savaient par expérience manipuler et conditionner
la jeunesse.
L'hypothèse
d'un conditionnement successif, transformant les jeunes Cambodgiens
en machines à tuer et à torturer, paraît, à la lumière de ces faits,
la plus vraisemblable.
Les exécutants
des Khmers rouges se sont-ils sentis responsables de leur actes ? Bien
que nous n'ayons pas d'éléments directs de réponse à cette question,
il semble que non. Embrigadés dans une organisation extrêmement rigide,
contraignante et se réclamant d'une autorité suprême, ils ont eu l'impression
d'agir exclusivement au nom et sur ordre de Angkar (organisation). Angkar
justifiait tout acte, mais ne tolérait aucune insubordination. La mort
atroce était la seule punition, l'accès au pouvoir la seule récompense.
Certaines personnes questionnées sur leur passé ont admis, au moins
tacitement, leur participation et leur soumission aux ordres, mais elles
n'ont pas réussi à les expliquer. " Nous étions tous responsables ",
telle était la fréquente réponse.
Les expériences
de Stanley Milgram sur l'obéissance à l'autorité nous apportent des
éléments d'explication essentiels. Engagés pour participer à une expérience
sur " l'influence de la punition sur le processus de la mémorisation
", les participants à l'expérience avaient à " corriger " les réponses
fausses d'un participant tiers en lui administrant des décharges électriques
dont ils pouvaient augmenter graduellement l'intensité de 15 jusqu'à
450 volts. Les décharges de plus de 400 volts risquaient d'entraîner
la mort, sans parler de la souffrance physique provoquée par un tel
traitement, mais convaincu d'agir sous l'autorité "suprême" de la science,
un homme moyen se révéla capable d'infliger les pires sévices à ses
semblables - rien ne lui indiquant que l'expérience était en réalité
truquée et que le véritable sujet de l'expérimentation était le tortionnaire-enseignant
et non l'élève supplicié.
Trouver certains individus capables d'obéir à de tels ordres n'était
cependant pas en soi un fait surprenant. Ce qui le fut davantage, c'était
que les individus refusant d'y obéir ne furent qu'une infime minorité
parmi les participants à l'expérimentation.
Les comportements des sujets furent cependant suffisamment variés pour
permettre à Milgram d'étudier les causes de cette obéissance. Il est
arrivé à la conclusion que les gens ont une tendance quasi-naturelle
à obéir à l'autorité. Plus cette autorité est reconnue, plus elle est
proche, plus elle dispose des moyens de contrainte, moins les gens se
sentent responsables des conséquences de leur actes. Milgram a qualifié
"d'agentique" l'état psychologique d'individus Soumis à l'autorité au
point de n'avoir pas l'impression d'agir par et pour eux-mêmes mais
seulement comme agents de l'institution qu'ils reconnaissent.
On peut
maintenant s'interroger sur l'influence d'une autorité dont la reconnaissance
est obtenue par la contrainte la plus extrême et qui, de surcroît, agit
comme une institution politique, éducative et juridique. L'effet de
son influence sera sans doute encore plus puissant. Telle fut exactement
le rôle de l'Angkar à l'égard des jeunes Khmers rouges embrigadés. Son
autorité était énorme, écrasante, excluant toute forme de désobéissance.
Les témoins citent le cas d'un jeune Khmer rouge qui s'est suicidé...
après avoir tué sur ordre de l' Angkar un membre très proche de sa famille.
L'exécution d'un ordre primant donc sur l'expression la plus dramatique
que l'on puisse exprimer d'un désaccord moral.
Il y eut une politique de génocide prémédité, planifié et organisé jusqu'au
dernier détail. Se sentant très minoritaires au sein de la société khmère,
les Khmers rouges savaient parfaitement qu'ils ne pouvaient pas s'attaquer
d'emblée à tous leurs opposants réels et potentiels. C'est pourquoi,
ils ont entrepris la tâche d'extermination par tranches, suivant les
règles principales de la stratégie communiste, si bien précisée par
Rakosi. Le processus d'extermination s'accompagnait d'un travail visant
la destruction des liens de solidarité à l'intérieur de la Société khmère,
les déplacements forcés et le brassage de la population jouant là un
rôle essentiel.
On peut
distinguer, à cet égard, les quatre phases suivantes :
- 1 - expulsion totale ou partielle de la population indigène;
- 2 - introduction d'une population nouvelle, provenant des différentes
régions du pays, et donc non unie dans son ensemble par des liens de
solidarité mutuelle;
- 3 - soumission de la population à des pratiques installant un climat
de méfiance extrême - il s'agit des séances " d'autocritique " où chacun,
après avoir reconnu ses propres fautes, ses propres erreurs, était obligé
de dénoncer d'autres personnes comme " ennemies " de la révolution;
- 4 - extermination tranche par tranche, des catégories de la population
considérées par les Khmers rouges comme traîtres, ennemis, parasites
sociaux ou non ré-éducables. Puis extermination de tous ceux que l'on
soupçonne de s'opposer à la ligne définie par l'Angkar.
En exterminant
les personnes selon des critères relatifs aux catégories socio-professionnelles,
donc des critères de classe, le génocide au Cambodge porte visiblement
la signature du crime motivé par l'idéologie communiste. L'association
des Khmers rouges au courant de gauche, qui se réclamait de surcroît
de la lutte anti-impérialiste, a contribué selon toute vraisemblance
à étouffer l'ampleur des crimes devant la partie de l'opinion publique
de gauche d'orientation tiers-mondiste. D'un autre côté, une alliance
objective entre les Khmers rouges et la première puissance occidentale,
les U.S.A., pour contenir une poussée d'influence soviétique en Extrême-orient,
a neutralisé une bonne partie de l'opinion de droite.
Ces soutiens,
qui leur sont venus aussi bien de la gauche que de la droite, ont permis
aux Khmers rouges d'acquérir l'allure d'interlocuteurs respectables
et de profiter aujourd'hui de la protection des hautes instances internationales
.
Voici un
extrait qui pourrait étrangement nous rappeler "La solution
Finale" établie par le 3ème Reich ; les méthodes
restent les mêmes. Les purges et exécutions sommaires concernent
d'anciens collaborateurs n'ayant pas pu s'acquiter de leur tâche
tant celle ci etait en fait irréaliste ou illusoire et se pratiquent
ici dans un esprit un peu similaire.
Deux autres
extraits nous font vivre la reconquète de Phnom Penh par les
cambodgiens, mais le retour est amère et la souffrance des années
passées est bien présente.
Les
frères ennemis par Nayan Chanda
Extrait
concernant les purges politiques sous Pol Pot
De toutes
les oppositions à Pol Pot, celle de la région Est était
la plus sérieuse. Depuis la naissance, dans les années
40, du mouvement antifrancais des Khmers issarak, la région collaborait
étroitement avec les communistes vietnamiens. La proximité
géographique du Vietnam et la présence dans les plantations
d'hévéas cambodgiennes de nombreux travailleurs vietnamiens
facilitaient les contacts. Dans les premiers temps de la résistance
à Lon Nol, c'est dans la région Est que les Vietnamiens
contribuèrent à organiser et à entraîner
l'armée khmère rouge. Cette longue collaboration semble
y avoir marqué le style politique des communistes khmers, partisans
d'une approche marxiste traditionnelle des transformations socialistes.
" A la vietnamienne ", ils mettaient l'accent sur la nécessité
d'utiliser les ressources disponibles - bourgeoises ou autres - pur
augmenter la production. L'abolition des classes n'était pas
la priorité. Le groupe dirigé par Pol Pot était,
lui, bien davantage influencé par Mao et son concept de la lutte
des classes, égalitaire et ininterrompue.
On ne sait
si ces divergences furent débattues au sein du Parti, ni si les
communistes de la région Est se risquèrent à braver
politiquement Pol Pot.
Il semble,
en tout cas, qu'ils renâclaient beaucoup à appliquer les
mesures ultra-gauchistes les plus brutales décidées par
le Centre. Pendant les trois premières années de pouvoir
khmer rouge, la région Est fut la mieux alimentée et,
à certains égards, la vie des " hommes nouveaux "
- la population urbaine dispersée - y fut moins dure qu'ailleurs
".
Il reste
que la région Est eut sa part de massacres. Plus de soixante
mille Cham, la plupart originaires de Kompong Cham, furent, par exemple,
exterminés pour leurs croyances islamiques. Certaines unités
orientales se signalèrent par une exceptionnelle cruauté
envers les populations civiles vietnamiennes, avec, bien entendu, la
bénédiction du Centre. Néanmoins, conséquence
de désaccords politiques, ou d'une paranoïa portée
à y voir sa propre justification, la région fournit le
plus gros contingent de cadres entrés en dissidence, ou massacrés
avant d'avoir rien pu tenter ".
"
Des esprits vietnamiens dans des corps khmers "
L'histoire
de la région Est est indissolublement liée à celle
de So Phim, paysan rondouillard au visage en face de lune, qui dirigea
le mouvement communiste dans cette partie du Cambodge pendant un quart
de siècle. En 1954, il fut parmi le millier de communistes khmers
qui durent se regrouper à Hanoi, mais, très vite, il rentra
clandestinement au Cambodge pour y réorganiser le Parti. En 1963,
il accéda au Comité permanent du Parti (l'équivalent
du Bureau politique). Cet organisme, composé de cinq membres,
était dominé par les intellectuels antivietnamiens de
Pol Pot. Lui seul était d'origine paysanne. Pendant les années
de la guérilla contre le régime Lon Nol, il devint chef
d'état-major adjoint de l'armée khmère rouge. Tout
au long des années 60 et 70, il collabora étroitement,
en dépit de frictions occasionnelles, avec les communistes vietnamiens.
Son influence dans la région était telle qu'après
1975 il fut le seul à cumuler les fonctions de membre du Comité
permanent et de responsable régional. Beaucoup estiment que la
région Est lui doit sa relative prospérité, mais
les spécialistes restent partagés quant au rôle
qui fut le sien dans l'extermination finale.
On se souvient
que l'impuissance des forces armées de la région Est à
s'opposer à l'invasion vietnamienne de décembre 1977 fut
sanctionnée par une nouvelle vague de purges. Dans la confusion
qui suivit le retrait des forces de Hanoi, certaines unités locales
échangèrent des coups de feu avec les renforts qui venaient
de débarquer de la région Centre. Et comme elles s'étaient
auparavant dispersées devant l'avancée vietnamienne, elles
furent fortement soupçonnées de collusion avec l'ennemi.
Un par un, tous les cadres militaires de rang intermédiaire de
la région orientale, ainsi que les responsables des divisions
du Centre impliquées dans les combats, furent convoqués
à Phnom Penh pour des " réunions " dont ils
ne revinrent jamais.
Les archives
de la prison de Tuol Sleng révèlent qu'à la date
du 19 avril 1978, le nombre des détenus originaires de la région
Est - soit 409 - était dix fois plus élevé que
celui des détenus de la région Nord-Ouest, le second pourtant
par ordre d'importance. Le lendemain, vingt-huit personnes furent incarcérées;
elles venaient toutes de la région orientale. Les commandants
des deux divisions du Centre en garnison à l'Est furent également
arrêtés.
L'un d'eux,
qui commandait la 290° division, se nommait Heng Thal. C'était
le frère de Heng Samrin.
Le10 mai,
Radio-Phnom Penh diffusa un message extravagant, appelant à l'extermination
de la race vietnamienne et à " l'assainissement " des
rangs cambodgiens eux-mêmes : " Tout est question de chiffres.
Chacun d'entre nous doit tuer trente Vietnamiens [...] Autrement dit,
les pertes respectives se situeront dans le rapport de un à trente,
ce qui nous dispense d'engager huit millions de personnes (la population
présumée du Cambodge). Nous n'avons besoin que de deux
millions d'hommes pour écraser les cinquante millions de Vietnamiens.
Et il nous en restera encore six millions. " Une entreprise aussi
ambitieuse requérait l'engagement total de l'armée, du
Parti et de l'ensemble de la population : " Nous devons assainir
nos forces armées et notre Parti, nous devons assainir les masses,
afin de poursuivre le combat pour la défense de notre territoire
et de la 'race cambodgienne ". "
En tant
que dirigeant, Phim adhérait-il à cette politique démente?
Approuvait-il
les purges? Le chercheur australien Ben Kiernan, qui parle couramment
khmer et a consacré un temps considérable à étudier
l'histoire récente du Cambodge, pense que So Phim était
malade pendant presque toute la durée des purges, et qu'il n'en
fut pas informé. Lorsqu'îl apprit finalement l'arrestation
des officiers commandant les deux divisions du Centre stationnées
à l'Est (la 280' et la 290t), il se serait " mis en colère
", mais son conseil - dérisoire - fut de " presser
chacun de faire attention et de se montrer prudent ". Selon Kiernan,
So Phim était paralysé par son sens de la discipline de
parti, et par sa conviction que les arrestations et les massacres ne
pouvaient pas refléter la vraie nature de la révolution.
Quand les purges prirent de l'ampleur, impuissant qu'il était
à les arrêter, il parut frappé de stupeur. A l'inverse,
selon Stephen Heder, après la percée vietnamienne de décembre,
So Phim se serait mis d'accord avec Pol Pot pour liquider les membres
du commandement militaire. Pour un dirigeant du Kampuchéa démocratique,
la seule façon de survivre à un échec était
d'en rejeter la responsabilité sut la trahison de ses subordonnés.
Pour Heder, " c'est exactement ce que fit So Phim, mais il ne se
rendit pas compte qu''il était lui-même suspect, pour s'être
efforcé de maintenir une relative prospérité dans
la région Est, et pour avoir tenté d'y organiser des forces
armées tant régionales que locales ".
Au fond
qu'importe si So Phim fut un dirigeant bien intentionné, mais
naïf, ou un meurtrier, complice de Pol Pot tombé en disgrâce.
Ce qui compte, c'est que sa tentative désespérée
pour desserrer l'étau qui se refermait sur lui donna le signal
d'une guerre civile de plus en plus féroce jusqu'à la
nouvelle intervention vietnamienne, de très grande envergure
cette fois.
A la fin
du mois de mai 1978, Ke Pauk, le dirigeant de la région Centre
chargé par Pol Pot de diriger les purges, transmit à So
Phim une " invitation " à une réunion. Phim
savait parfaitement à quoi s'en tenir.
Prudent,
il envoya trois émissaires, dont un haut dirigeant du Parti,
s'enquérir de l'objet de la réunion. On ne les revit jamais.
Le 24 mai,
les troupes de la région Centre, récemment renforcées
par une brigade blindée, encerclèrent le siège
du Parti pour la région Est, à Suong, à environ
30 kilomètres de la frontière du Vietnam. Un grand nombre
de dirigeants furent arrêtés et exécutés.
Mais Phim était déjà loin. Accompagné de
sa femme, de ses enfants et de ses gardes du corps, il s'était
enfui en jeep, dans l'intention de gagner Phnom Penh. D'après
Kiernan, il aurait déclaré à ses collaborateurs
que Pauk et le ministre de la Défense, Son Sen, qui dirigeaient
l'attaque, étaient des traîtres, et qu'il se faisait fort
d'obtenir leur arrestation de la direction du Parti. Selon Heder, Prim
aurait cru que les troupes du Centre avaient simplement outrepassé
leurs instructions. Il aurait donc donné à ses hommes
l'ordre de résister, jusqu'à ce qu'il ait décidé
Pol Pot à faire cesser les hostilités. Il n'avait donc
apparemment pas conscience d'être devenu, pour la direction du
Parti, l'homme à abattre, alors que Pol Pot, depuis mai 1978,
était persuadé qu'il était le dirigeant d'un "
Parti des travailleurs du Cambodge " clandestin, créé
par les Vietnamiens et la C.I.A. pour prendre le pouvoir au Cambodge.
So Phim
prit ses quartiers sur les bords du Mékong, non loin de Phnom
Penh, en attendant que Pol Pot veuille bien se manifester. Avant de
se risquer dans la capitale, il avait envoyé un émissaire
établir un premier contact. Un " comité d'accueil
" vint à sa rencontre, le 2 juin, sous la forme de deux
bateaux bourrés de soldats. Phim était trop haut placé
pour conserver le moindre doute sur ce qui l'attendait. Il sortit son
arme et se tira une balle dans la poitrine ".
Avec l'opération
du 24 mai 1978, s'ouvrait le dernier chapitre de l'histoire sanglante
du Kampuchéa démocratique. On allait bientôt toucher
le fond de l'horreur. Les purges au sein du Parti s'étaient jusqu'alors
entourées d'une relative discrétion. Les victimes étaient
attirées hors de leurs villages sous le prétexte d'une
invitation - au choix ; une " consultation de routine ", une
" séance de réflexion ", une " réunion
d'urgence " - ou de quelque prétendue " nouvelle responsabilité
" que l'on désirait leur confier. Elles étaient alors
remises aux services de sécurité. En quatre ans, près
de vingt mille " invités " furent torturés,
dans le but d'obtenir des aveux, puis massacrés à la prison
de Tuol Sleng. Mais le secret qui présidait aux activités
du Parti était toujours aussi épais, et les moyens de
communication entre les différentes régions aussi inexistants.
Il n'y eut donc pas de panique. Les méthodes du Parti inspiraient,
certes, la crainte et le doute, mais sans plus.
En revanche,
en envoyant des blindés s'emparer du siège régional
du Parti, à Suong, Pol Pot choisissait de tomber le masque. Les
survivants perdirent leurs dernières illusions. Le lendemain
de l'attaque, le 25 mai, tout le personnel d'encadrement des 4' et 5°
divisions (chefs de bataillons et commandants de régiments) fut
convoqué à une conférence. Dès leur arrivée,
tous furent déshabillés, ligotés et entassés
dans des camions. Arrivés en rase campagne, ils furent jetés
à bas des véhicules et massacrés à la mitrailleuse.
L'un d'eux survécut miraculeusement. Il parvint à s'enfuir
au Vietnam, où il devait témoigner ".
Heng Samrin,
qui commandait la 4' Division, vit ainsi disparaître son frère.
Il ne demanda pas son reste : avec un millier d'hommes qui lui restaient
fidèles, il prit le maquis. Tea Sabun, un cadre régional
à la tête d'une milice locale, entreprit de piller les
arsenaux de la région pour se procurer des fusils et des roquettes
antichars. Les miliciens tinrent tête aux troupes du Centre pendant
environ trois semaines, avant de se retirer dans la jungle. D'autres
dirigeants régionaux, notamment Chéa Sim, Mat Ly, Men
Chhan, ouch Bun Chhoeun et Sim Kar, prirent le maquis avec quelque 3
000 hommes en armes et dix fois plus de civils. Jusqu'à la fin
du mois de juillet, dans les trois provinces de la région orientale
(Kompong Cham, Svay Rieng et Prey Veng), les troupes du Centre subirent
un constant harcèle ment. De nombreux villageois, profitant de
la fuite des Khmers rouges, détruisirent les cuisines communautaires
et se répartirent bétail et biens collectivisés.
Face à
la puissance de feu des armes de fabrication chinoise, face aux blindés,
face aussi, à partir du mois de juin, aux redoutables troupes
du Nirdey, dirigées par Ta Mok, la résistance spontanée
de groupes constitués à la hâte ne pesait pas bien
lourd. En juillet, l'intensité des combats décrut.
Les représailles
pouvaient commencer. Le carnage fut sans commune mesure avec tout ce
que la région Est avait dû subir par le passé. Aux
yeux de Pol Pot et de ses amis, les Khmers de la zone Est avaient tombé
le masque. " Esprits vietnamiens dans des corps khmers ",
il fallait les écraser. On massacra, bien sur, les rebelles capturés
et leurs familles, mais aussi des villages entiers qui les avaient abrités.
Tous ces malheureux furent conduits à la mort par camions entiers.
Deux ans plus tard, il me fut donné de visiter l'un des charniers
de Kompong Cham, où l'on pense que 50 000 personnes trouvèrent
la mort. A l'ombre des manguiers, os et crânes d'hommes, de femmes
et d'enfants, tous âges confondus, faisaient comme un tapis macabre,
obscène..,
Dans l'ensemble
de la région, la répression fit probablement plus de 100
000 morts. Le tiers de la population - suspects dont il fallait se débarrasser
- fut déporté dans les régions paludéennes
du Cambodge occidental. A défaut d'être exécutés,
la moitié des déportés périrent de faim
ou de maladie.
Pour fuir
cette sauvage répression, les chefs des rebelles et la population
civile durent trouver refuge dans la forêt, noyée sous
les pluies diluviennes de la mousson. Faute de nourriture, de médicaments,
de vêtements et de munitions, leur détermination fléchissait.
Le choix était donc simple : se rendre - autant dire se suicider
- ou tenter sa chance auprès des Vietnamiens. La seconde solution
n'était pas forcément sans risques. De nombreux déserteurs
des divisions du Centre avaient, en effet, été impliqués
dans les raids sur les villages vietnamiens frontaliers. Pour les cadres,
nourris depuis des années de propagande antivietnamienne, la
volte-face n'était pas facile. Quelques Khmers issarak survivants,
qui avaient eu jadis des relations étroites avec les Vietnamiens,
furent envoyés en éclaireurs. Dès la fin juin,
Radio-Hanoi commença à diffuser en khmer des appels au
soulèvement. Des cadres khmers connus, que tout le monde croyait
morts, s'adressèrent, sur les ondes, à leurs compatriotes,
et contribuèrent à les rassurer. Heng Samkai, le frère
aîné de Heng Samrin, jouait les agents de liaison. Ancien
dirigeant de la région Est (comme ses frères), il s'était
réfugié au Vietnam quelque temps auparavant. " Nous
nous sommes finalement rendu compte, me confia Samkai en 1981, que nous
ne parviendrions jamais à renverser Pol Pot par nos propres moyens.
Nous ne pouvions nous passer de l'aide des Vietnamiens. " Il entrait
naguère dans ses attributions de commandant en chef des agents
de liaison de la zone Est de maintenir le contact avec les autres instances
du Parti, et aussi avec le Vietnam. Il connaissait donc bien les Vietnamiens.
Lorsqu'en janvier 1978, fuyant son pays, il parvint à la frontière
vietnamienne, il fut aussitôt transféré par hélicoptère
à Ho Chi Minh-Ville. Peu après, il rencontrait d'autres
transfuges khmers rouges dans l'ancienne École de police de Thu
Duc.
Le Parti
vietnamien travaillait déjà à mettre sur pied un
mouvement de résistance khmère. L'entraînement des
premiers combattants avait commencé. Car il ne lui fallait plus
compter, au Cambodge-Est, où l'organisation du Parti venait d'être
démantelée, sur un éventuel soutien des Khmers.
L'espoir d'un changement de l'intérieur - suite à un coup
d'État - s'évanouissait, et il était difficile
d'infiltrer des Khmers entraînés au Vietnam pur organiser
un soulèvement avec les dissidents restés sur place.
Les Vietnamiens
prirent contact avec divers groupes de maquisards rebelles. Début
septembre, ils lancèrent une nouvelle offensive blindée
à l'intérieur du Cambodge. Leur objectif était,
cette fois, d'assurer la liaison avec Heng Samrin et ses partisans retirés
dans la jungle, et de les escorter jusqu'au-delà de la frontière.
Heng Samrin, Chéa Sim et d'autres rescapés khmers rouges
purent ainsi gagner le Vietnam. Le futur gouvernement du Cambodge pro-vietnamien
pouvait se constituer...
La
journée du 7 janvier 1979
A midi, le Boeing-707 argent et bleu de l'aviation civile chinoise se
posa sur la piste de Pochentong. Sihanouk était en larmes. La
joie de la liberté retrouvée le disputait, chez lui, à
l'amertume de devoir, encore une fois, quitter son pays. Il embrassa
l'ambassadeur yougoslave et lui dit d'une voix étranglée
: " Transmettez, s'il vous plaît, mes hommages au président
Tito, et dites lui que notre peuple ne capitulera jamais. " L'avion
décolla. Il n'y aurait pas d'autre départ. Les deux ambassadeurs
repartirent pour Battambang.
Le 7 janvier,
à l'aube, la cohue était indescriptible autour de la gare
ferroviaire de Phnom Penh. En camion, en moto, à bicyclette,
des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants - les cadres du régime
et leurs familles affluaient de toutes parts. Ils fuyaient leurs camps
d'hébergement, à la périphérie de la ville.
A l'évidence, tous ne partiraient pas. Les deux trains à
quai étaient déjà bondés, pleins de soldats
blessés et de civils en proie à la panique. Débordés,
leng Sary et ses collaborateurs du ministère des Affaires étrangères
s'efforçaient de contenir la foule et de faire de la place pour
les blessés qui continuaient d'arriver. Le soleil, impitoyable,
transformait peu à peu les compartiments en étuve. Peu
après 9 heures surgit un messager. Les colonnes vietnamiennes
n'étaient plus qu'à 5 kilomètres. Sary donna l'ordre
du départ. Des grappes humaines restaient accrochées aux
portières, ou juchées sur les toits des wagons. Les deux
convois s'ébranlèrent lourdement pour Battambang.
Depuis
la terrasse de son ambassade, Khamphan observait les événements.
Comment tout cela allait-il finir? Depuis l'aube, le crépitement
des armes automatique s'était joint au bruit des explosions.
Il était prés de dix heures quand une Jeep pénétra
dans l'enclave diplomatique pour évacuer les jeunes soldats en
faction. Avant de monter dans le véhicule, l'un d'eux brandit
son fusil AK47 et mitrailla avec désinvolture la façade
de l'ambassade du Laos. Personne ne fut blessé. Un Laotien qui
se trouvait près d'une fenêtre n'eut que le temps de se
baisser vivement. Une balle atteignit le portrait du premier ministre
Kaysone, qui se fracassa au sol.
Une véritable
frénésie paraissait s'être emparée de cette
ville que l'on avait crue morte. De temps à autre, des camions
de fabrication chinoise, chargés d'hommes, dévalaient
à tombeau ouvert le boulevard Monivong.
Des hélicoptères verts apparurent, leurs pales cinglant
l'air déjà chaud de ce milieu de matinée, Le vacarme,
effroyable, couvrit un instant le bruit du canon. Puis ils disparurent
vers l'ouest. Un monde s'effondrait sous les yeux de Khamphan, qui songea
furtivement : Pol Pot était-il à bord de l'un deux?
Vers midi,
il distingua un roulement sourd. En se penchant par la fenêtre,
il pouvait apercevoir, entre deux alignements de bâtiments, une
portion du boulevard Monivong, la plus grande artère de la ville.
Surmonté d'un drapeau rouge et jaune, un char apparut dans un
nuage de fumée bleue, puis un autre, et un autre encore "
Les voilà!", s'écria Khamphan, puis, à l'intention
de ses hommes : " Hissez le drapeau! ".
Une heure plus tard, le deuxième secrétaire de l'ambassade
se risqua à l'extérieur. A grands gestes, il attira l'attention
d'une petite patrouille de soldats vietnamiens qui descendait le boulevard
désert. Surpris, ils braquèrent leurs fusils dans sa direction,
tandis qu'il plaçait ses mains bien en évidence au-dessus
de sa tête. Quand ils se furent approchés, il leur désigna
l'ambassade de la main et déclina au seul Khmer du groupe ses
nom et qualité. Ce soir-là, une douzaine de soldats vietnamiens
vinrent assurer la garde du bâtiment. Le cauchemar avait pris
fin. Khamphan, fou de joie, fit servir aux " libérateurs
" un festin de riz bouilli et de viande en conserve.
La
prison sans murs
Kim
Resty
Retour
à Phnom Penh après la chute des Khmers rouges.
Nous étions
très heureux et très émus de marcher sur cette
route goudronnée qui passe devant l'ambassade américaine.
Nous marchions sur des débris de verre, sur cette route où
régnait un silence semblable au silence de la forêt. Pendant
tout le régime de Pol Pot, personne n'avait eu l'autorisation
d'entrer dans Phnom Penh, à l'exception de certains qui avaient
une autorisation spéciale. Il y avait eu des officiels de l'Angkar
Loeu, des soldats, des ouvriers khmers rouges, mais ils ne pouvaient
pas redonner vie à la ville. Il est toujours resté des
zones désertes car même eux n'avaient pas la pleine liberté
de se promener selon leurs désirs.
Une étrange
angoisse m'étreignait en entendant le sifflement du vent, le
bruit lointain d'une voiture, une seule voiture, et tout autour le silence.
Je tressaillais, j'avais la chair de poule. C'était comme si
nous nous trouvions au pays des fantômes et pourtant nous étions
au centre d'une ville. J'avais vécu à Phnom Penh depuis
ma naissance et je n'aurais jamais imaginé que je puisse un jour
ne plus reconnaître cet endroit. Phnom Penh m'était devenue
étrangère au point que je me suis égaré
pendant quelques minutes. C'était complètement désert,
pas un être humain, pas un bruit. Seuls les immeubles demeuraient.
C'était très difficile d'admettre qu'une ville soit réellement
devenue comme cela. On croyait rêver.
Les maisons
étaient ouvertes car le 17 avril 1975, le jour où les
Khmers rouges avaient vidé Phnom Penh, tous les gens étaient
partis sans savoir ce qui allait se passer. Ils avaient écouté
la radio et avaient entendu les Khmers rouges dire qu'ils voulaient
faire évacuer la ville pour protéger la population des
bombardements américains qui étaient imminents. "
Cela ne durera pas plus de trois jours " , disaient-ils et les
gens étaient partis en abandonnant tout sur place. Les Khmers
rouges avaient proclamé la victoire et " puisqu'ils étaient
victorieux, ils allaient pouvoir arrêter la guerre ", avaient-ils
déclaré. Beaucoup de gens l'avaient cru et étaient
heureux. Le déplacement de la ville vers la campagne était
lent car les routes étaient encombrées. Certaines familles
de privilégiés ne se doutaient de rien et se comportaient
comme si elles allaient prendre quelques jours de détente à
la campagne. Certains pique-niquaient, riaient gaiement. Ils croyaient
qu'ils allaient jouir de la paix et de la liberté. Cela a duré
un jour ou deux, pas plus. D'autres avaient déjà compris
dès le début. Les Khmers rouges étaient excellents
dans l'art de parler, de convaincre, de mentir et de duper. Ils utilisaient
des ruses diaboliques pour tendre des pièges. Je me rappelle
que peu après leur arrivée, ils avaient annoncé
que puisqu'ils avaient libéré le pays, Sihanouk qui vivait
en exil allait revenir.
Il fallait
rassembler une garde militaire, annonçaient-ils, pour aller l'accueillir.
Certains officiers espéraient récupérer leurs avantages
perdus, d'autres ont pensé pouvoir bénéficier de
cette situation pour s'attribuer un grade qu'ils n'avaient jamais eu
et ils ont déclaré qu'autrefois ils étaient eux-mêmes
officiers. Mal leur en a pris car tous ont immédiatement été
tués. Le but des Khmers rouges était seulement de démasquer
les militaires de l'ancien régime pour les exterminer. Ils étaient
vraiment très rusés. Ils connaissaient bien l'âme
humaine et au besoin jouaient sur la vanité et la cupidité
des hommes... Je repensais à tout cela en marchant dans la ville
déserte.
À
Phnom Penh autrefois, les gens pauvres étaient très pauvres
mais ceux qui étaient riches étaient très riches.
Il y avait beaucoup de villas.
Dans certains jardins, la végétation avait tellement poussé
qu'elle cachait complètement la maison. Les fruits tombés
pendant des années avaient pourri en couches épaisses.
Parfois, des petits arbres avaient poussé dans les ruelles dont
le sol de latérite n'était pas goudronné.
Nous étions
très émus en pensant que dans dix minutes nous serions
dans notre maison qui se trouvait maintenant à moins de cinq
cents mètres. Nous pouvions déjà apercevoir le
toit de la maison voisine mais nous avons bientôt été
arrêtés par des barrières de tôle et de barbelés
qui nous empêchaient d'approcher. Toute la zone située
dans un rayon d'un kilomètre autour du Palais d'État était
surveillée par les troupes vietnamiennes. Notre maison, la plus
pauvre du quartier, à trois cents mètres du Palais, était
prise dans cette zone dite de sécurité. Ce n'est que plus
tard, lorsque je travaillais à Phnom Penh, que j'ai pu aller
la voir... Il n'en restait rien, que les piliers de béton. Elle
était en bois et on l'avait complètement démontée
pour récupérer les matériaux. Il n'y avait ni débris,
ni cendres.
Nous avons
été chassés de Phnom Penh ce même matin,
vers huit heures, par les tirs de fusils mitrailleurs des troupes vietnamiennes.
Certains
ont été arrêtés mais nous avons pu nous échapper
par le fleuve et retourner chez nous. Il a fallu encore trois jours
pour effectuer le trajet. Nous étions épuisés en
arrivant.
Les gens
avaient tellement été affamés pendant le régime
des Khmers rouges qu'ils pensaient avant tout à leur estomac.
Les Vietnamiens savaient bien que donner à manger était
le meilleur moyen de faire travailler mais aussi de faire taire les
protestations. On se demande ce qu'il est advenu du riz qui fut produit
pendant le régime des Khmers rouges. Ils en avaient stocké
d'énormes quantités à certains endroits, qu'ils
ont fait brûler à l'arrivée des Vietnamiens. Il
y a eu des montagnes de riz qui se sont consumées lentement pendant
des semaines.
Seuls ceux qui avaient été désignés pour
travailler pouvaient pénétrer dans la ville. Au début,
ils vivaient en collectivité, en dortoirs sur les lieux de travail.
Ce n'est que plus tard qu'ils ont eu le droit de faire venir leurs familles.
Il était interdit de flâner, de se promener dans la ville,
de dépasser certaines limites.
Lorsque
je suis arrivé, j'ai été hébergé
par quelqu'un qui m'avait connu pendant l'époque khmère
rouge. Il faisait partie de la Direction du Quartier. Il a informé
les autorités qu'autrefois j'avais été étudiant
en médecine. J'étais heureux à la perspective de
travailler car cela allait me permettre de revoir ma maison. Je pensais
à mon père surtout qui voulait tant revoir sa maison avant
de mourir. Je pensais qu'au moins je pourrais lui dire bientôt
ce qu'elle était devenue. Hélas, je ne me doutais pas
alors que, lorsque je pourrais aller la voir, je découvrirais
qu'il n'en restait rien.
Les autres,
ceux qui n'avaient pas encore eu l'autorisation d'entrer dans Phnom
Penh, vivaient dans les banlieues, en collectivité dans des baraquements
faits de quelques piquets de bambou, couverts de plastique ou de toile
- des abris provisoires, des abris de fortune. Les autorités
du quartier essayaient d'aménager les lieux. Il n'y avait pas
assez de logements adéquats pour tous ces gens qui devaient vivre
presque comme des cochons. Ils n'avaient rien à manger et devaient
se nourrir de son et de liserons d'eau. À Phnom Penh même,
c'était différent parce qu'il y avait les organisations
internationales. Il y avait de la nourriture mais une fois dans la ville,
on y était en liberté surveillée, en quelque sorte
emprisonné.
Dès
les premiers jours, les gens maintenus dans les banlieues ont commencé
à s'infiltrer dans la ville pour récupérer ce qu'ils
pouvaient, des matériaux de toutes sortes et diverses choses
abandonnées par la population. On pouvait voir ces paysans qui,
en grand nombre, essayaient d'entrer dans la ville mais que les soldats
vietnamiens chassaient. Les Khmers rouges avaient stocké toutes
sortes de matériaux et de produits, ainsi que de la nourriture,
dans des magasins, des entrepôts et des wagons.
Tout ce
que j 'ai vu emporté par ces pauvres gens était de petites
choses. Les choses de valeur étaient stockées dans des
endroits très bien surveillés. Ce ne sont pas les paysans
qui les ont fait disparaître. Un jour, j'ai vu des Vietnamiens
emporter dans des voitures et sur des remorques des centaines de postes
de télévision. Ils en brisaient certains pour n'en prendre
que des pièces. Il y avait un sanctuaire bouddhiste dans lequel,
depuis sa création, beaucoup d'or et d'argent avaient été
amassés. Un jour, vers quatre heures de l'après-midi,
des voitures militaires et quelques Mercedes sont arrivées. Des
gens armés en sont descendus, ont pointé des mitraillettes
vers la foule des badauds et - je ne sais sous quel prétexte
officiel - ont raflé tous ces trésors. J'ai vu ça
de mes propres yeux. Cela s'est passé près de l'endroit
où je travaillais.
Le 12 février
1979, les autorités du ministère de l'Information sont
venues me chercher et m'ont emmené dans le centre de la ville
pour travailler avec un médecin khmer sorti de la faculté
de Phnom Penh en 1973. Il fallait mettre en route l'infirmerie du ministère
de l'Information et de la Culture.
Quelques
jours plus tard, je suis allé à la faculté de médecine
qui se trouvait à deux cents mètres de là. J'ai
été le premier étudiant à remettre les pieds
sur l'escalier de cette fac.
Personne
n'y était plus venu depuis avril 1975.
Ce jour-là,
les bâtiments étaient encore déserts.
Une équipe cinématographique de Hô Chi Minh-Ville
était là et a demandé à me filmer, déambulant
dans cette immensité vide. Tous les livres de la bibliothèque
étaient pêle-mêle sur le plancher. Cela peut paraître
étrange mais je ne m'intéressais qu'aux livres...
Nous trouverons
ici plusieurs extraits de presse concernant le procès des Khmers
Rouges. La tendance générale reste la même: on en
parle et on laisse penser qu'un procès va être tenu un
jour, mais rien ne se construit vraiment pour la tenue de ce procès
qui reste tout de même espéré par un certain nombre
de cambodgiens, même si une majorité redoute qu'il ne ravive
les plaies et qu'il serait préférable de parler de réconciliation
nationale. D'autres ont peur, a juste titre qu'un procès soit
une ouverture vers des recherches et des accusations. Au delà
des principaux acteurs dirigeants, d'autres très nombreux ont
participé aux crimes et tortures, et même si ils n'étaient
pas décideurs ils étaient exécuteurs. Contraints
ou librement volontaires c'est toute la question qu'ils ne voudraient
pas voir posée.
Procès
des Khmers Rouges: Hun Sen pique une nouvelle colère contre l'ONU
PHNOM PENH,
29 juin (AFP) - Le Premier ministre cambodgien Hun Sen a piqué
une nouvelle grosse colère contre l'ONU en l'accusant vendredi
de vouloir imposer ses vues sur le tribunal qui doit juger les anciens
chefs khmers rouges "au mépris de la souveraineté
du Cambodge".
"J'ai
l'impression que l'ONU est en train de forcer le Cambodge à suivre
sa volonté. Je pense que les Nations Unies veulent jouer avec
le Cambodge, mais moi je m'en fiche", a déclaré Hun
Sen, furieux, à l'issue d'un conseil des ministres.
"Le
Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres
de l'ONU. Que les Nations Unies participent ou non au tribunal, c'est
leur problème", a-t-il dit.
Ce coup
de colère survient au lendemain d'une visite du représentant
spécial de l'ONU pour les droits de l'Homme au Cambodge, Peter
Leuprecht, un professeur de droit autrichien, qui a émis des
doutes sur l'indépendance et la compétence des juges cambodgiens.
Ce n'est
pas la première fois que Hun Sen fustige les Nations Unies au
nom de la souveraineté nationale.
Il estime
ne pas avoir de leçons ou de pressions à recevoir d'elles,
leur ayant souvent reproché d'avoir légitimé les
Khmers Rouges en les autorisant à occuper le siège du
Cambodge à New York pendant des années après la
chute de Pol Pot (1979) et la découverte des "champs de
la mort".
Le régime
du "Kampuchéa démocratique", sous la férule
de Pol Pot, est responsable de la mort de près de deux millions
de Cambodgiens entre 1975 et 1979, selon les historiens.
Ces nouvelles
critiques surviennent alors que Phnom Penh et l'ONU doivent finaliser
formellement les modalités d'organisation du tribunal cambodgien
"à caractère international" chargé de
juger des anciens dirigeants khmers rouges.
Hun Sen a promis la semaine dernière que la législation
serait adoptée d'ici "août au plus tard" et que
le procès pourrait commencer à la fin de l'année
"à condition que l'ONU ne mette aucune entrave".
Toutefois, il a indiqué que son gouvernement ne débourserait
pas un seul sou pour la création de cette cour spéciale
internationale.
La question importante du financement du procès, et notamment
du salaire des juges cambodgiens et étrangers, est donc loin
d'être réglée.
Après des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se
sont mis d'accord l'an dernier sur la création d'un tribunal
spécial mixte composé de trois chambres (première
instance, appel et cour suprême) au sein duquel les deux parties
se partageront toutes les fonctions.
La semaine dernière, le conseil des ministres a approuvé
une version amendée du projet de loi après modification
d'une erreur de formulation.
Le texte doit repasser devant l'Assemblée nationale, le Sénat
et le Conseil constitutionnel avant ratification par le roi Norodom
Sihanouk.
Selon Hun Sen, l'ONU a exigé du gouvernement et du roi qu'ils
approuvent un texte "conforme à ce qu'elles veulent",
ce qu'il considère comme inacceptable.
"Je veux dire à l'ONU de rester tranquille, de la boucler
et de laisser le Cambodge travailler sur cette question", a-t-il
dit.
L'une des questions les plus épineuses reste de savoir qui des
survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous
en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes
contre l'humanité.
Phnom Penh et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants
du Kampuchéa Démocratique responsables des crimes les
plus graves commis durant la période 1975-79".
Deux hauts
cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang
Kek Ieu, attendent en prison d'être jugés. Ils sont les
seuls, à ce jour, à être inculpés.
Les
députés cambodgiens remettent le procès des Khmers
Rouges sur les rails
PHNOM PENH,
11 juil (AFP) - L'Assemblée nationale du Cambodge a adopté
mercredi la version amendée de la législation nécessaire
à la création d'un tribunal "à caractère
international" pour juger les anciens chefs khmers rouges.
Le projet
de loi instaurant un tribunal spécial mixte --cambodgien mais
à "caractère international"-- a été
adopté, comme prévu, à la quasi unanimité
des 88 députés présents.
Déjà
adopté par les députés en janvier, le texte avait
dû être renvoyé devant une commission gouvernementale
spéciale chargée du dossier à la suite d'une erreur
de formulation.
Le Conseil
constitutionel s'était aperçu qu'un article faisait référence
au code pénal de 1956 qui prévoyait la peine de mort pour
certains crimes alors que le châtiment capital a été
aboli en 1993 au Cambodge.
La procédure,
qui devrait conduire à un procès historique de certains
dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.
Le texte
doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel
avant d'être promulgué par le roi Norodom Sihanouk.
Il restera
ensuite à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement
les modalités d'organisation du procès.
Une fois
le feu vert de l'ONU accordé, ce qui n'est pas encore acquis,
devraient se dérouler l'instruction et le procès attendu
par la communauté internationale.
Le Premier
ministre Hun Sen a promis que la législation serait entérinée
d'ici "août au plus tard" et que le procès pourrait
commencer à la fin de l'année "à condition
que l'ONU ne mette aucune entrave".
Hun Sen
a récemment piqué une grosse colère contre l'ONU
en l'accusant de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris
de la souveraineté du Cambodge".
"Le
Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres
de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est
leur problème", a-t-il dit.
Le Premier
ministre a aussi fait savoir que le gouvernement cambodgien ne débourserait
pas un seul sou pour la création de cette cour spéciale.
La question
importante du financement du procès, et notamment du salaire
des juges cambodgiens et étrangers, est donc loin d'être
réglée.
Après
des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord
l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte
composé de trois chambres (première instance, appel et
cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes
les fonctions.
L'une des
questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des
survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous
en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes
contre l'humanité.
Phnom Penh
et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa
Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables
des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79".
Deux hauts
cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang
Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison
d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à
être inculpés.
Les affidés
de Pol Pot (décédé en avril 1998) sont tenus pour
responsables de la mort d'au moins 1,7 million de Cambodgiens, selon
le bilan généralement avancé.
Le
procès des Khmers Rouges sur les rails, mais mise en garde de
Sihanouk
PHNOM PENH,
11 juil (AFP) - L'Assemblée nationale du Cambodge a comme prévu
adopté mercredi la version amendée de la législation
nécessaire à la création d'un tribunal "à
caractère international" pour juger les anciens chefs khmers
rouges.
Mais le
roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, a aussitôt mis en garde contre
les risques que ferait encourir selon lui à la paix et à
la prospérité du royaume un procès qui ne tiendrait
pas compte de la réconciliation nationale.
Le projet
de loi instaurant un tribunal spécial mixte --cambodgien, mais
à "caractère international"-- a été
adopté à la quasi unanimité des 88 députés
présents.
Déjà
voté par les députés en janvier, le texte avait
dû être renvoyé devant la commission gouvernementale
responsable du dossier à la suite d'une erreur de formulation.
Le Conseil
constitutionnel s'était aperçu qu'un article faisait référence
au code pénal de 1956 qui prévoyait la peine de mort pour
certains crimes alors que le châtiment capital a été
aboli en 1993 au Cambodge.
La procédure,
qui pourrait conduire à un procès historique de certains
ex-dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.
Le texte
doit encore passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel
avant d'être promulgué par le roi Sihanouk.
Il restera
ensuite à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement
les modalités d'organisation du tribunal.
Une fois
le feu vert de l'ONU accordé, ce qui n'est pas acquis, devraient
se dérouler l'instruction et le procès attendu par la
communauté internationale.
Le Premier
ministre Hun Sen a promis que la législation serait entérinée
d'ici "août au plus tard" et que le procès pourrait
commencer à la fin de l'année "à condition
que l'ONU ne mette aucune entrave".
Hun Sen
a récemment piqué une colère contre l'ONU en l'accusant
de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris de
la souveraineté du Cambodge".
"Le
Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres
de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est
leur problème", s'est-il fâché.
Il a aussi
fait savoir que le gouvernement cambodgien ne débourserait pas
un seul sou pour la création de cette cour spéciale.
Après
des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord
l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte
composé de trois chambres (première instance, appel et
cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes
les fonctions.
L'une des
questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des
survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous
en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes
contre l'humanité (1,7 million de morts).
Le roi
Sihanouk a exprimé la crainte qu'un procès aveugle ne
rallume des tensions, sinon des velléités de guerre civile,
selon l'ancien patron de l'ONU au Cambodge, le Japonais Yasushi Akashi,
qui a été reçu par le souverain.
"Le
roi a été parfaitement clair : si la cause de la justice
doit être servie, il faut aussi prendre en compte les accords
passés et les négociations avec certains dirigeants khmers
rouges", a dit M. Akashi.
Phnom Penh
et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa
Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables
des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79".
Deux hauts
cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang
Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison
d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à
être inculpés.
Mais les
principaux hiérarques de la dictature polpotiste --Nuon Chea,
Ieng Sary, Khieu Samphan-- ont pris leur retraite dans d'anciens fiefs
de la guérilla. Quant à Pol Pot, il est mort le 15 avril
1998 près de la frontière thaïlandaise.
Hun Sen
réfute le bien-fondé d'un rapport américain sur
le génocide cambodgien
PHNOM PENH,
18 juil (AFP) - Le Premier ministre cambodgien Hun Sen a mis en garde
mercredi contre une "politisation" du procès des anciens
chefs khmers rouges en soulignant que la question relevait de la justice.
L'avertissement
de Hun Sen apparaît comme une réfutation directe d'un rapport
américain publié lundi qui, selon ses auteurs, fournit
pour la première fois des accusations criminelles détaillées
contre sept anciens hauts cadres du régime de Pol Pot.
"Je
veux simplement dire que si on est un expert de droit, on doit parler
de droit. Et si on est un politicien, on parle de politique. Mais il
ne faut pas mélanger droit et politique", a expliqué
le Premier ministre à propos de la création d'un tribunal
pour juger les anciens dirigeants khmers rouges.
"Il
faut laisser la justice faire son travail", a-t-il ajouté.
L'étude
américaine a été publiée par le bureau de
recherche sur les crimes de guerre de l'American University de Washington.
Elle accuse
nommément sept anciens hiérarques proches de Pol Pot qui
sont toujours en vie: le "numéro deux" du régime
khmer rouge, Nuon Chea, l'ancien ministre des Affaires étrangères
Ieng Sary, Khieu Samphan, Ta Mok, Ke Pok, Sou Met et Meah Mut.
L'Assemblée
nationale du Cambodge a adopté la semaine dernière la
législation nécessaire à la mise en place d'un
tribunal spécial mixte --cambodgien mais à "caractère
international".
La procédure,
qui devrait conduire à un procès historique de certains
ex-dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.
Le texte
doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel
avant d'être ratifié par le roi Norodom Sihanouk.
Enfin,
et cela est loin d'être acquis, il restera à Phnom Penh
et à l'ONU à finaliser formellement les modalités
d'organisation du procès, en fait à "renégocier"
un accord.
Une fois
le feu vert de l'ONU accordé, devraient se dérouler l'instruction
et le procès attendu par la communauté internationale.
Il paraît de plus en plus probable que ce processus prendra des
mois, sinon des années.
Hun Sen
a récemment piqué une grosse colère contre l'ONU
en l'accusant de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris
de la souveraineté du Cambodge".
"Le
Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres
de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est
leur problème", a-t-il répété.
Après
des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord
l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte
composé de trois chambres (première instance, appel et
cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes
les fonctions.
L'une des
questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des
survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous
en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes
contre l'humanité.
Phnom Penh
et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa
Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables
des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79"
(près de deux millions de morts).
Deux hauts
cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang
Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison
d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à
être inculpés.
Mais les
principaux hiérarques de la dictature polpotiste --Nuon Chea,
Ieng Sary, Khieu Samphan-- ont pris leur retraite dans d'anciens fiefs
de la guérilla. Quant à Pol Pot, il est mort le 15 avril
1998 près de la frontière thaïlandaise.
No 3 du
Kampuchéa Démocratique, chef de sa diplomatie et beau-frère
de Pol Pot, Ieng Sary a bénéficié d'une grâce
royale en 1996 après s'être rallié au gouvernement
avec 4.000 maquisards, une défection qui avait porté un
coup fatal à la guérilla khmère rouge.
Deux
ex-fidèles de Pol Pot continuent à nier les crimes des
Khmers Rouges
PHNOM PENH,
20 juil (AFP) - Deux anciens hiérarques khmers rouges, Nuon Chea
et Khieu Samphan, ont récusé les conclusions d'un rapport
américain associant les hauts cadres du régime de Pol
Pot à la mort de près de deux millions de Cambodgiens
entre 1975 et 1979.
Dans une
interview publiée vendredi par des hebdomadaires régionaux,
le Phnom Penh Post et la Far Eastern Economic Review, Nuon Chea, numéro
deux de la dictature polpotiste, réitère son refus d'accepter
la responsabilité du génocide.
"Peut-être
que des gens ont été tués, mais ils sont seulement
morts de faim et de maladie", assure "Frère No 2"
(Pol Pot, décédé en 1998, était le No 1).
"Nous
n'avons jamais eu comme politique de tuer des gens", poursuit Nuon
Chea, âgé de 74 ans, considéré comme l'idéologue
des Khmers Rouges.
"Ceux
qui ont trahi la nation ont tué les Khmers. Ce sont eux les ennemis",
explique-t-il en reprenant le vieil argument des Khmers Rouges selon
lequel les tueries ont été perpétrées par
des "traîtres" à la solde des Vietnamiens ou
par des Vietnamiens eux-mêmes.
L'objectif
du Kampuchéa Démocratique (KD, nom officiel du régime)
était "de donner du riz trois fois par jour et un dessert
une fois par semaine", dit-il.
Interrogé
lui aussi, Khieu Samphan, 70 ans, chef d'Etat du Kampuchéa Démocratique
puis leader nominal du mouvement khmer rouge, dément avoir joué
le moindre rôle dans la mise en oeuvre des exécutions.
L'étude
américaine, publiée lundi, fournit pour la première
fois selon ses auteurs des accusations criminelles détaillées
contre sept anciens hauts cadres du régime de Pol Pot, dont Nuon
Chea et Khieu Samphan.
Ces derniers
ont pris leur retraite à Pailin, un ancien fief de la guérilla
khmère rouge près de la frontière thaïlandaise,
après s'être ralliés au gouvernement du Premier
ministre Hun Sen en décembre 1998.
Tous deux
se sont déjà dits prêts à comparaître
devant un tribunal, sans cesser de proclamer leur innocence.
Seulement
deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire
Kang Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", ont été
arrêtés et attendent en prison d'être jugés.
Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.
Le rapport
américain a été publié peu après
que les députés cambodgiens eurent adopté la législation
nécessaire à la mise en place d'un tribunal spécial
mixte --cambodgien mais à "caractère international"--
pour juger les anciens dirigeants khmers rouges.
La procédure
n'est pas pour autant terminée.
Le texte
doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel
avant d'être ratifié par le roi Norodom Sihanouk.
Enfin,
et cela est loin d'être acquis, il restera à Phnom Penh
et à l'ONU à finaliser formellement les modalités
d'organisation du procès, en fait à "renégocier"
un agrément mutuellement acceptable.
Une fois
le feu vert de l'ONU accordé, devraient se dérouler l'instruction
et le procès attendus par la communauté internationale.
Il paraît de plus en plus probable que ce processus prendra des
mois, sinon des années.