LA FIN DU CAUCHEMAR

 

 

Dans cette dernière parti concernant les Khmers Rouges, nous allons voir comment cette histoire a pris fin et tenter de comprendre ce qui s'est passé pour que cette escalade se mette en place. A ce jour, ( Decembre 2002 ) le procès des rares Khmers Rouges en captivité n'a toujours pas eut lieu.IL est peu probable que justice soit rendue un jour devant un tribunal pénal international digne de ce nom. Les Khmers, quel que soit leur couleur répugnent à exposer leurs sentiments et la notion de réconciliation Nationale est un mot fort pour tous ceux qui aspirent a une paix stable et durable dans un pays a reconstruire.

 

Comment cela a-t-il été possible ?

Extraits du dernier chapitre du livre de Marek Sliwinski Le génocide Khmer rouge

L'explication des mobiles des crimes et, de surcroît, de ceux de crime contre l'humanité, a toujours fasciné l'imagination des chercheurs.

A l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, nombreux furent les travaux qui ont tenté d'expliquer les crimes perpétrés par les nazis. Influencés au départ par l'approche freudienne, ils ont essayé de démontrer le lien entre racisme, type de personnalités, structure de la famille et phénomène fasciste en tant que tel. Avec la découverte tardive de l'univers exterminateur soviétique, l'intérêt s'est déplacé vers l'analyse des origines, de la structure et du fonctionnement des systèmes totalitaires". Puis, sont apparus les ouvrages démontrant le lien entre le contenu de l'idéologie ou des croyances, et la nature existentielle du système. Le plupart des ouvrages relatifs à la période des Khmers rouges au Cambodge appartiennent à cette dernière catégorie.

L'ouvrage collectif édité par Karl Jackson démontre d'une manière évidente la relation entre l'idéologie des Khmers rouges et le caractère exterminateur de leur système politique. Deux hypothèses, suscitées par cet ouvrage, méritent une attention particulière.

La première, évoquée par Jackson, insiste sur l'effet d'une rencontre entre idéologie communiste intransigeante et doctrine de l'autarcie totale. Il en a résulté une dégradation de l'idéal révolutionnaire initial, et cela dans un climat de privations extrêmes, de chambres de torture et de famine généralisées.

Quant à l'hypothèse de François Ponchaud, elle démontre comment la rencontre entre communisme intransigeant et doctrine karmique a contribué à l'ampleur de l'extermination. Justifiant les inégalités sociales et les souffrances des opprimés par les mauvaises actions commises dans les vies antérieures, la doctrine karmique a été considérée par les révolutionnaires khmers rouges comme un véritable " opium du peuple ". D'un autre côté, l'individualisme bouddhique a empêché une résistance organisée au régime, chacun ne s'occupant que de son propre avenir.

On peut pourtant se demander si les affinités évoquées dans ces hypothèses constituent la cause première des exterminations commises par les Khmers rouges, ou si elles n'en sont qu'un corollaire. Les idéologies extrémistes sont connues de tous mais elles ne sont que rarement associées avec les abominations commises. L'engrenage de la violence et de la cruauté dépend probablement d'un syndrome de variables spécifiques où les prémisses d'ordre moral et idéologique jouent un rôle relativement secondaire. Du point de vue strictement béhavioriste, l'engrenage de la violence doit résulter d'un processus de conditionnement particulier auquel la société ou certaines parties de cette société sont soumises. Dans le cas précis du Cambodge, on peut ainsi distinguer trois facteurs qui, selon toute vraisemblance, ont joué un rôle essentiel :
- 1 - le processus de conditionnement des Khmers rouges;
- 2 - la généralisation de l'état "agentique" des individus sous la domination des Khmers rouges;
- 3 - le processus de désintégration de la société khmère.

Le processus de conditionnement des jeunes Khmers rouges est possible à reconstituer. Pour le recrutement, les Khmers rouges embrigadaient dès l'âge de 12 ans des jeunes gens des deux sexes venant des coins les plus reculés du pays. Séparés de leur familles, leur développement affectif se trouvait subitement arrêté. Appartenant souvent aux peuples primitifs vivant dans un état de guerre tribale quasi permanent dans les zones forestières du nord-est, ils constituaient un matériel humain particulièrement facile à initier à l'usage de la violence la plus extrême. Les séances d'endoctrinement idéologique, communes à toutes les organisations de jeunesse communiste du monde, étaient complétées par des séances dites de " durcissement des coeurs et des esprits " durant lesquelles ces jeunes adeptes étaient initiés à la pratique de la torture et des assassinats.

Les informations recueillies sur le passé des dirigeants et des cadres khmers rouges sont aussi très concluantes sur un autre point : celui du métier exercé auparavant. Nous n'en avons recensé qu'un seul, celui d'enseignant dans le primaire ou le secondaire. Il est à noter que les ex-enseignants furent aussi les principaux responsables du système carcéral. Comme nous l'avons déjà dit, les jeunes Khmers rouges étaient donc encadrés par des personnes qui savaient par expérience manipuler et conditionner la jeunesse.

L'hypothèse d'un conditionnement successif, transformant les jeunes Cambodgiens en machines à tuer et à torturer, paraît, à la lumière de ces faits, la plus vraisemblable.

Les exécutants des Khmers rouges se sont-ils sentis responsables de leur actes ? Bien que nous n'ayons pas d'éléments directs de réponse à cette question, il semble que non. Embrigadés dans une organisation extrêmement rigide, contraignante et se réclamant d'une autorité suprême, ils ont eu l'impression d'agir exclusivement au nom et sur ordre de Angkar (organisation). Angkar justifiait tout acte, mais ne tolérait aucune insubordination. La mort atroce était la seule punition, l'accès au pouvoir la seule récompense. Certaines personnes questionnées sur leur passé ont admis, au moins tacitement, leur participation et leur soumission aux ordres, mais elles n'ont pas réussi à les expliquer. " Nous étions tous responsables ", telle était la fréquente réponse.

Les expériences de Stanley Milgram sur l'obéissance à l'autorité nous apportent des éléments d'explication essentiels. Engagés pour participer à une expérience sur " l'influence de la punition sur le processus de la mémorisation ", les participants à l'expérience avaient à " corriger " les réponses fausses d'un participant tiers en lui administrant des décharges électriques dont ils pouvaient augmenter graduellement l'intensité de 15 jusqu'à 450 volts. Les décharges de plus de 400 volts risquaient d'entraîner la mort, sans parler de la souffrance physique provoquée par un tel traitement, mais convaincu d'agir sous l'autorité "suprême" de la science, un homme moyen se révéla capable d'infliger les pires sévices à ses semblables - rien ne lui indiquant que l'expérience était en réalité truquée et que le véritable sujet de l'expérimentation était le tortionnaire-enseignant et non l'élève supplicié.
Trouver certains individus capables d'obéir à de tels ordres n'était cependant pas en soi un fait surprenant. Ce qui le fut davantage, c'était que les individus refusant d'y obéir ne furent qu'une infime minorité parmi les participants à l'expérimentation.
Les comportements des sujets furent cependant suffisamment variés pour permettre à Milgram d'étudier les causes de cette obéissance. Il est arrivé à la conclusion que les gens ont une tendance quasi-naturelle à obéir à l'autorité. Plus cette autorité est reconnue, plus elle est proche, plus elle dispose des moyens de contrainte, moins les gens se sentent responsables des conséquences de leur actes. Milgram a qualifié "d'agentique" l'état psychologique d'individus Soumis à l'autorité au point de n'avoir pas l'impression d'agir par et pour eux-mêmes mais seulement comme agents de l'institution qu'ils reconnaissent.

On peut maintenant s'interroger sur l'influence d'une autorité dont la reconnaissance est obtenue par la contrainte la plus extrême et qui, de surcroît, agit comme une institution politique, éducative et juridique. L'effet de son influence sera sans doute encore plus puissant. Telle fut exactement le rôle de l'Angkar à l'égard des jeunes Khmers rouges embrigadés. Son autorité était énorme, écrasante, excluant toute forme de désobéissance. Les témoins citent le cas d'un jeune Khmer rouge qui s'est suicidé... après avoir tué sur ordre de l' Angkar un membre très proche de sa famille. L'exécution d'un ordre primant donc sur l'expression la plus dramatique que l'on puisse exprimer d'un désaccord moral.
Il y eut une politique de génocide prémédité, planifié et organisé jusqu'au dernier détail. Se sentant très minoritaires au sein de la société khmère, les Khmers rouges savaient parfaitement qu'ils ne pouvaient pas s'attaquer d'emblée à tous leurs opposants réels et potentiels. C'est pourquoi, ils ont entrepris la tâche d'extermination par tranches, suivant les règles principales de la stratégie communiste, si bien précisée par Rakosi. Le processus d'extermination s'accompagnait d'un travail visant la destruction des liens de solidarité à l'intérieur de la Société khmère, les déplacements forcés et le brassage de la population jouant là un rôle essentiel.

On peut distinguer, à cet égard, les quatre phases suivantes :
- 1 - expulsion totale ou partielle de la population indigène;
- 2 - introduction d'une population nouvelle, provenant des différentes régions du pays, et donc non unie dans son ensemble par des liens de solidarité mutuelle;
- 3 - soumission de la population à des pratiques installant un climat de méfiance extrême - il s'agit des séances " d'autocritique " où chacun, après avoir reconnu ses propres fautes, ses propres erreurs, était obligé de dénoncer d'autres personnes comme " ennemies " de la révolution;
- 4 - extermination tranche par tranche, des catégories de la population considérées par les Khmers rouges comme traîtres, ennemis, parasites sociaux ou non ré-éducables. Puis extermination de tous ceux que l'on soupçonne de s'opposer à la ligne définie par l'Angkar.

En exterminant les personnes selon des critères relatifs aux catégories socio-professionnelles, donc des critères de classe, le génocide au Cambodge porte visiblement la signature du crime motivé par l'idéologie communiste. L'association des Khmers rouges au courant de gauche, qui se réclamait de surcroît de la lutte anti-impérialiste, a contribué selon toute vraisemblance à étouffer l'ampleur des crimes devant la partie de l'opinion publique de gauche d'orientation tiers-mondiste. D'un autre côté, une alliance objective entre les Khmers rouges et la première puissance occidentale, les U.S.A., pour contenir une poussée d'influence soviétique en Extrême-orient, a neutralisé une bonne partie de l'opinion de droite.

Ces soutiens, qui leur sont venus aussi bien de la gauche que de la droite, ont permis aux Khmers rouges d'acquérir l'allure d'interlocuteurs respectables et de profiter aujourd'hui de la protection des hautes instances internationales .


 

Voici un extrait qui pourrait étrangement nous rappeler "La solution Finale" établie par le 3ème Reich ; les méthodes restent les mêmes. Les purges et exécutions sommaires concernent d'anciens collaborateurs n'ayant pas pu s'acquiter de leur tâche tant celle ci etait en fait irréaliste ou illusoire et se pratiquent ici dans un esprit un peu similaire.

Deux autres extraits nous font vivre la reconquète de Phnom Penh par les cambodgiens, mais le retour est amère et la souffrance des années passées est bien présente.

 

Les frères ennemis par Nayan Chanda

Extrait concernant les purges politiques sous Pol Pot

De toutes les oppositions à Pol Pot, celle de la région Est était la plus sérieuse. Depuis la naissance, dans les années 40, du mouvement antifrancais des Khmers issarak, la région collaborait étroitement avec les communistes vietnamiens. La proximité géographique du Vietnam et la présence dans les plantations d'hévéas cambodgiennes de nombreux travailleurs vietnamiens facilitaient les contacts. Dans les premiers temps de la résistance à Lon Nol, c'est dans la région Est que les Vietnamiens contribuèrent à organiser et à entraîner l'armée khmère rouge. Cette longue collaboration semble y avoir marqué le style politique des communistes khmers, partisans d'une approche marxiste traditionnelle des transformations socialistes. " A la vietnamienne ", ils mettaient l'accent sur la nécessité d'utiliser les ressources disponibles - bourgeoises ou autres - pur augmenter la production. L'abolition des classes n'était pas la priorité. Le groupe dirigé par Pol Pot était, lui, bien davantage influencé par Mao et son concept de la lutte des classes, égalitaire et ininterrompue.

On ne sait si ces divergences furent débattues au sein du Parti, ni si les communistes de la région Est se risquèrent à braver politiquement Pol Pot.

Il semble, en tout cas, qu'ils renâclaient beaucoup à appliquer les mesures ultra-gauchistes les plus brutales décidées par le Centre. Pendant les trois premières années de pouvoir khmer rouge, la région Est fut la mieux alimentée et, à certains égards, la vie des " hommes nouveaux " - la population urbaine dispersée - y fut moins dure qu'ailleurs ".

Il reste que la région Est eut sa part de massacres. Plus de soixante mille Cham, la plupart originaires de Kompong Cham, furent, par exemple, exterminés pour leurs croyances islamiques. Certaines unités orientales se signalèrent par une exceptionnelle cruauté envers les populations civiles vietnamiennes, avec, bien entendu, la bénédiction du Centre. Néanmoins, conséquence de désaccords politiques, ou d'une paranoïa portée à y voir sa propre justification, la région fournit le plus gros contingent de cadres entrés en dissidence, ou massacrés avant d'avoir rien pu tenter ".

" Des esprits vietnamiens dans des corps khmers "

L'histoire de la région Est est indissolublement liée à celle de So Phim, paysan rondouillard au visage en face de lune, qui dirigea le mouvement communiste dans cette partie du Cambodge pendant un quart de siècle. En 1954, il fut parmi le millier de communistes khmers qui durent se regrouper à Hanoi, mais, très vite, il rentra clandestinement au Cambodge pour y réorganiser le Parti. En 1963, il accéda au Comité permanent du Parti (l'équivalent du Bureau politique). Cet organisme, composé de cinq membres, était dominé par les intellectuels antivietnamiens de Pol Pot. Lui seul était d'origine paysanne. Pendant les années de la guérilla contre le régime Lon Nol, il devint chef d'état-major adjoint de l'armée khmère rouge. Tout au long des années 60 et 70, il collabora étroitement, en dépit de frictions occasionnelles, avec les communistes vietnamiens. Son influence dans la région était telle qu'après 1975 il fut le seul à cumuler les fonctions de membre du Comité permanent et de responsable régional. Beaucoup estiment que la région Est lui doit sa relative prospérité, mais les spécialistes restent partagés quant au rôle qui fut le sien dans l'extermination finale.

On se souvient que l'impuissance des forces armées de la région Est à s'opposer à l'invasion vietnamienne de décembre 1977 fut sanctionnée par une nouvelle vague de purges. Dans la confusion qui suivit le retrait des forces de Hanoi, certaines unités locales échangèrent des coups de feu avec les renforts qui venaient de débarquer de la région Centre. Et comme elles s'étaient auparavant dispersées devant l'avancée vietnamienne, elles furent fortement soupçonnées de collusion avec l'ennemi. Un par un, tous les cadres militaires de rang intermédiaire de la région orientale, ainsi que les responsables des divisions du Centre impliquées dans les combats, furent convoqués à Phnom Penh pour des " réunions " dont ils ne revinrent jamais.

Les archives de la prison de Tuol Sleng révèlent qu'à la date du 19 avril 1978, le nombre des détenus originaires de la région Est - soit 409 - était dix fois plus élevé que celui des détenus de la région Nord-Ouest, le second pourtant par ordre d'importance. Le lendemain, vingt-huit personnes furent incarcérées; elles venaient toutes de la région orientale. Les commandants des deux divisions du Centre en garnison à l'Est furent également arrêtés.

L'un d'eux, qui commandait la 290° division, se nommait Heng Thal. C'était le frère de Heng Samrin.

Le10 mai, Radio-Phnom Penh diffusa un message extravagant, appelant à l'extermination de la race vietnamienne et à " l'assainissement " des rangs cambodgiens eux-mêmes : " Tout est question de chiffres. Chacun d'entre nous doit tuer trente Vietnamiens [...] Autrement dit, les pertes respectives se situeront dans le rapport de un à trente, ce qui nous dispense d'engager huit millions de personnes (la population présumée du Cambodge). Nous n'avons besoin que de deux millions d'hommes pour écraser les cinquante millions de Vietnamiens. Et il nous en restera encore six millions. " Une entreprise aussi ambitieuse requérait l'engagement total de l'armée, du Parti et de l'ensemble de la population : " Nous devons assainir nos forces armées et notre Parti, nous devons assainir les masses, afin de poursuivre le combat pour la défense de notre territoire et de la 'race cambodgienne ". "

En tant que dirigeant, Phim adhérait-il à cette politique démente?

Approuvait-il les purges? Le chercheur australien Ben Kiernan, qui parle couramment khmer et a consacré un temps considérable à étudier l'histoire récente du Cambodge, pense que So Phim était malade pendant presque toute la durée des purges, et qu'il n'en fut pas informé. Lorsqu'îl apprit finalement l'arrestation des officiers commandant les deux divisions du Centre stationnées à l'Est (la 280' et la 290t), il se serait " mis en colère ", mais son conseil - dérisoire - fut de " presser chacun de faire attention et de se montrer prudent ". Selon Kiernan, So Phim était paralysé par son sens de la discipline de parti, et par sa conviction que les arrestations et les massacres ne pouvaient pas refléter la vraie nature de la révolution. Quand les purges prirent de l'ampleur, impuissant qu'il était à les arrêter, il parut frappé de stupeur. A l'inverse, selon Stephen Heder, après la percée vietnamienne de décembre, So Phim se serait mis d'accord avec Pol Pot pour liquider les membres du commandement militaire. Pour un dirigeant du Kampuchéa démocratique, la seule façon de survivre à un échec était d'en rejeter la responsabilité sut la trahison de ses subordonnés. Pour Heder, " c'est exactement ce que fit So Phim, mais il ne se rendit pas compte qu''il était lui-même suspect, pour s'être efforcé de maintenir une relative prospérité dans la région Est, et pour avoir tenté d'y organiser des forces armées tant régionales que locales ".

Au fond qu'importe si So Phim fut un dirigeant bien intentionné, mais naïf, ou un meurtrier, complice de Pol Pot tombé en disgrâce. Ce qui compte, c'est que sa tentative désespérée pour desserrer l'étau qui se refermait sur lui donna le signal d'une guerre civile de plus en plus féroce jusqu'à la nouvelle intervention vietnamienne, de très grande envergure cette fois.

A la fin du mois de mai 1978, Ke Pauk, le dirigeant de la région Centre chargé par Pol Pot de diriger les purges, transmit à So Phim une " invitation " à une réunion. Phim savait parfaitement à quoi s'en tenir.

Prudent, il envoya trois émissaires, dont un haut dirigeant du Parti, s'enquérir de l'objet de la réunion. On ne les revit jamais.

Le 24 mai, les troupes de la région Centre, récemment renforcées par une brigade blindée, encerclèrent le siège du Parti pour la région Est, à Suong, à environ 30 kilomètres de la frontière du Vietnam. Un grand nombre de dirigeants furent arrêtés et exécutés. Mais Phim était déjà loin. Accompagné de sa femme, de ses enfants et de ses gardes du corps, il s'était enfui en jeep, dans l'intention de gagner Phnom Penh. D'après Kiernan, il aurait déclaré à ses collaborateurs que Pauk et le ministre de la Défense, Son Sen, qui dirigeaient l'attaque, étaient des traîtres, et qu'il se faisait fort d'obtenir leur arrestation de la direction du Parti. Selon Heder, Prim aurait cru que les troupes du Centre avaient simplement outrepassé leurs instructions. Il aurait donc donné à ses hommes l'ordre de résister, jusqu'à ce qu'il ait décidé Pol Pot à faire cesser les hostilités. Il n'avait donc apparemment pas conscience d'être devenu, pour la direction du Parti, l'homme à abattre, alors que Pol Pot, depuis mai 1978, était persuadé qu'il était le dirigeant d'un " Parti des travailleurs du Cambodge " clandestin, créé par les Vietnamiens et la C.I.A. pour prendre le pouvoir au Cambodge.

So Phim prit ses quartiers sur les bords du Mékong, non loin de Phnom Penh, en attendant que Pol Pot veuille bien se manifester. Avant de se risquer dans la capitale, il avait envoyé un émissaire établir un premier contact. Un " comité d'accueil " vint à sa rencontre, le 2 juin, sous la forme de deux bateaux bourrés de soldats. Phim était trop haut placé pour conserver le moindre doute sur ce qui l'attendait. Il sortit son arme et se tira une balle dans la poitrine ".

Avec l'opération du 24 mai 1978, s'ouvrait le dernier chapitre de l'histoire sanglante du Kampuchéa démocratique. On allait bientôt toucher le fond de l'horreur. Les purges au sein du Parti s'étaient jusqu'alors entourées d'une relative discrétion. Les victimes étaient attirées hors de leurs villages sous le prétexte d'une invitation - au choix ; une " consultation de routine ", une " séance de réflexion ", une " réunion d'urgence " - ou de quelque prétendue " nouvelle responsabilité " que l'on désirait leur confier. Elles étaient alors remises aux services de sécurité. En quatre ans, près de vingt mille " invités " furent torturés, dans le but d'obtenir des aveux, puis massacrés à la prison de Tuol Sleng. Mais le secret qui présidait aux activités du Parti était toujours aussi épais, et les moyens de communication entre les différentes régions aussi inexistants. Il n'y eut donc pas de panique. Les méthodes du Parti inspiraient, certes, la crainte et le doute, mais sans plus.

En revanche, en envoyant des blindés s'emparer du siège régional du Parti, à Suong, Pol Pot choisissait de tomber le masque. Les survivants perdirent leurs dernières illusions. Le lendemain de l'attaque, le 25 mai, tout le personnel d'encadrement des 4' et 5° divisions (chefs de bataillons et commandants de régiments) fut convoqué à une conférence. Dès leur arrivée, tous furent déshabillés, ligotés et entassés dans des camions. Arrivés en rase campagne, ils furent jetés à bas des véhicules et massacrés à la mitrailleuse. L'un d'eux survécut miraculeusement. Il parvint à s'enfuir au Vietnam, où il devait témoigner ".

Heng Samrin, qui commandait la 4' Division, vit ainsi disparaître son frère. Il ne demanda pas son reste : avec un millier d'hommes qui lui restaient fidèles, il prit le maquis. Tea Sabun, un cadre régional à la tête d'une milice locale, entreprit de piller les arsenaux de la région pour se procurer des fusils et des roquettes antichars. Les miliciens tinrent tête aux troupes du Centre pendant environ trois semaines, avant de se retirer dans la jungle. D'autres dirigeants régionaux, notamment Chéa Sim, Mat Ly, Men Chhan, ouch Bun Chhoeun et Sim Kar, prirent le maquis avec quelque 3 000 hommes en armes et dix fois plus de civils. Jusqu'à la fin du mois de juillet, dans les trois provinces de la région orientale (Kompong Cham, Svay Rieng et Prey Veng), les troupes du Centre subirent un constant harcèle ment. De nombreux villageois, profitant de la fuite des Khmers rouges, détruisirent les cuisines communautaires et se répartirent bétail et biens collectivisés.

Face à la puissance de feu des armes de fabrication chinoise, face aux blindés, face aussi, à partir du mois de juin, aux redoutables troupes du Nirdey, dirigées par Ta Mok, la résistance spontanée de groupes constitués à la hâte ne pesait pas bien lourd. En juillet, l'intensité des combats décrut.

Les représailles pouvaient commencer. Le carnage fut sans commune mesure avec tout ce que la région Est avait dû subir par le passé. Aux yeux de Pol Pot et de ses amis, les Khmers de la zone Est avaient tombé le masque. " Esprits vietnamiens dans des corps khmers ", il fallait les écraser. On massacra, bien sur, les rebelles capturés et leurs familles, mais aussi des villages entiers qui les avaient abrités. Tous ces malheureux furent conduits à la mort par camions entiers. Deux ans plus tard, il me fut donné de visiter l'un des charniers de Kompong Cham, où l'on pense que 50 000 personnes trouvèrent la mort. A l'ombre des manguiers, os et crânes d'hommes, de femmes et d'enfants, tous âges confondus, faisaient comme un tapis macabre, obscène..,

Dans l'ensemble de la région, la répression fit probablement plus de 100 000 morts. Le tiers de la population - suspects dont il fallait se débarrasser - fut déporté dans les régions paludéennes du Cambodge occidental. A défaut d'être exécutés, la moitié des déportés périrent de faim ou de maladie.

Pour fuir cette sauvage répression, les chefs des rebelles et la population civile durent trouver refuge dans la forêt, noyée sous les pluies diluviennes de la mousson. Faute de nourriture, de médicaments, de vêtements et de munitions, leur détermination fléchissait. Le choix était donc simple : se rendre - autant dire se suicider - ou tenter sa chance auprès des Vietnamiens. La seconde solution n'était pas forcément sans risques. De nombreux déserteurs des divisions du Centre avaient, en effet, été impliqués dans les raids sur les villages vietnamiens frontaliers. Pour les cadres, nourris depuis des années de propagande antivietnamienne, la volte-face n'était pas facile. Quelques Khmers issarak survivants, qui avaient eu jadis des relations étroites avec les Vietnamiens, furent envoyés en éclaireurs. Dès la fin juin, Radio-Hanoi commença à diffuser en khmer des appels au soulèvement. Des cadres khmers connus, que tout le monde croyait morts, s'adressèrent, sur les ondes, à leurs compatriotes, et contribuèrent à les rassurer. Heng Samkai, le frère aîné de Heng Samrin, jouait les agents de liaison. Ancien dirigeant de la région Est (comme ses frères), il s'était réfugié au Vietnam quelque temps auparavant. " Nous nous sommes finalement rendu compte, me confia Samkai en 1981, que nous ne parviendrions jamais à renverser Pol Pot par nos propres moyens. Nous ne pouvions nous passer de l'aide des Vietnamiens. " Il entrait naguère dans ses attributions de commandant en chef des agents de liaison de la zone Est de maintenir le contact avec les autres instances du Parti, et aussi avec le Vietnam. Il connaissait donc bien les Vietnamiens. Lorsqu'en janvier 1978, fuyant son pays, il parvint à la frontière vietnamienne, il fut aussitôt transféré par hélicoptère à Ho Chi Minh-Ville. Peu après, il rencontrait d'autres transfuges khmers rouges dans l'ancienne École de police de Thu Duc.

Le Parti vietnamien travaillait déjà à mettre sur pied un mouvement de résistance khmère. L'entraînement des premiers combattants avait commencé. Car il ne lui fallait plus compter, au Cambodge-Est, où l'organisation du Parti venait d'être démantelée, sur un éventuel soutien des Khmers. L'espoir d'un changement de l'intérieur - suite à un coup d'État - s'évanouissait, et il était difficile d'infiltrer des Khmers entraînés au Vietnam pur organiser un soulèvement avec les dissidents restés sur place.

Les Vietnamiens prirent contact avec divers groupes de maquisards rebelles. Début septembre, ils lancèrent une nouvelle offensive blindée à l'intérieur du Cambodge. Leur objectif était, cette fois, d'assurer la liaison avec Heng Samrin et ses partisans retirés dans la jungle, et de les escorter jusqu'au-delà de la frontière. Heng Samrin, Chéa Sim et d'autres rescapés khmers rouges purent ainsi gagner le Vietnam. Le futur gouvernement du Cambodge pro-vietnamien pouvait se constituer...



La journée du 7 janvier 1979

A midi, le Boeing-707 argent et bleu de l'aviation civile chinoise se posa sur la piste de Pochentong. Sihanouk était en larmes. La joie de la liberté retrouvée le disputait, chez lui, à l'amertume de devoir, encore une fois, quitter son pays. Il embrassa l'ambassadeur yougoslave et lui dit d'une voix étranglée : " Transmettez, s'il vous plaît, mes hommages au président Tito, et dites lui que notre peuple ne capitulera jamais. " L'avion décolla. Il n'y aurait pas d'autre départ. Les deux ambassadeurs repartirent pour Battambang.

Le 7 janvier, à l'aube, la cohue était indescriptible autour de la gare ferroviaire de Phnom Penh. En camion, en moto, à bicyclette, des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants - les cadres du régime et leurs familles affluaient de toutes parts. Ils fuyaient leurs camps d'hébergement, à la périphérie de la ville. A l'évidence, tous ne partiraient pas. Les deux trains à quai étaient déjà bondés, pleins de soldats blessés et de civils en proie à la panique. Débordés, leng Sary et ses collaborateurs du ministère des Affaires étrangères s'efforçaient de contenir la foule et de faire de la place pour les blessés qui continuaient d'arriver. Le soleil, impitoyable, transformait peu à peu les compartiments en étuve. Peu après 9 heures surgit un messager. Les colonnes vietnamiennes n'étaient plus qu'à 5 kilomètres. Sary donna l'ordre du départ. Des grappes humaines restaient accrochées aux portières, ou juchées sur les toits des wagons. Les deux convois s'ébranlèrent lourdement pour Battambang.

Depuis la terrasse de son ambassade, Khamphan observait les événements. Comment tout cela allait-il finir? Depuis l'aube, le crépitement des armes automatique s'était joint au bruit des explosions. Il était prés de dix heures quand une Jeep pénétra dans l'enclave diplomatique pour évacuer les jeunes soldats en faction. Avant de monter dans le véhicule, l'un d'eux brandit son fusil AK47 et mitrailla avec désinvolture la façade de l'ambassade du Laos. Personne ne fut blessé. Un Laotien qui se trouvait près d'une fenêtre n'eut que le temps de se baisser vivement. Une balle atteignit le portrait du premier ministre Kaysone, qui se fracassa au sol.

Une véritable frénésie paraissait s'être emparée de cette ville que l'on avait crue morte. De temps à autre, des camions de fabrication chinoise, chargés d'hommes, dévalaient à tombeau ouvert le boulevard Monivong.
Des hélicoptères verts apparurent, leurs pales cinglant l'air déjà chaud de ce milieu de matinée, Le vacarme, effroyable, couvrit un instant le bruit du canon. Puis ils disparurent vers l'ouest. Un monde s'effondrait sous les yeux de Khamphan, qui songea furtivement : Pol Pot était-il à bord de l'un deux?

Vers midi, il distingua un roulement sourd. En se penchant par la fenêtre, il pouvait apercevoir, entre deux alignements de bâtiments, une portion du boulevard Monivong, la plus grande artère de la ville. Surmonté d'un drapeau rouge et jaune, un char apparut dans un nuage de fumée bleue, puis un autre, et un autre encore " Les voilà!", s'écria Khamphan, puis, à l'intention de ses hommes : " Hissez le drapeau! ".
Une heure plus tard, le deuxième secrétaire de l'ambassade se risqua à l'extérieur. A grands gestes, il attira l'attention d'une petite patrouille de soldats vietnamiens qui descendait le boulevard désert. Surpris, ils braquèrent leurs fusils dans sa direction, tandis qu'il plaçait ses mains bien en évidence au-dessus de sa tête. Quand ils se furent approchés, il leur désigna l'ambassade de la main et déclina au seul Khmer du groupe ses nom et qualité. Ce soir-là, une douzaine de soldats vietnamiens vinrent assurer la garde du bâtiment. Le cauchemar avait pris fin. Khamphan, fou de joie, fit servir aux " libérateurs " un festin de riz bouilli et de viande en conserve.


La prison sans murs

Kim Resty

Retour à Phnom Penh après la chute des Khmers rouges.

 

Nous étions très heureux et très émus de marcher sur cette route goudronnée qui passe devant l'ambassade américaine. Nous marchions sur des débris de verre, sur cette route où régnait un silence semblable au silence de la forêt. Pendant tout le régime de Pol Pot, personne n'avait eu l'autorisation d'entrer dans Phnom Penh, à l'exception de certains qui avaient une autorisation spéciale. Il y avait eu des officiels de l'Angkar Loeu, des soldats, des ouvriers khmers rouges, mais ils ne pouvaient pas redonner vie à la ville. Il est toujours resté des zones désertes car même eux n'avaient pas la pleine liberté de se promener selon leurs désirs.

Une étrange angoisse m'étreignait en entendant le sifflement du vent, le bruit lointain d'une voiture, une seule voiture, et tout autour le silence. Je tressaillais, j'avais la chair de poule. C'était comme si nous nous trouvions au pays des fantômes et pourtant nous étions au centre d'une ville. J'avais vécu à Phnom Penh depuis ma naissance et je n'aurais jamais imaginé que je puisse un jour ne plus reconnaître cet endroit. Phnom Penh m'était devenue étrangère au point que je me suis égaré pendant quelques minutes. C'était complètement désert, pas un être humain, pas un bruit. Seuls les immeubles demeuraient. C'était très difficile d'admettre qu'une ville soit réellement devenue comme cela. On croyait rêver.

Les maisons étaient ouvertes car le 17 avril 1975, le jour où les Khmers rouges avaient vidé Phnom Penh, tous les gens étaient partis sans savoir ce qui allait se passer. Ils avaient écouté la radio et avaient entendu les Khmers rouges dire qu'ils voulaient faire évacuer la ville pour protéger la population des bombardements américains qui étaient imminents. " Cela ne durera pas plus de trois jours " , disaient-ils et les gens étaient partis en abandonnant tout sur place. Les Khmers rouges avaient proclamé la victoire et " puisqu'ils étaient victorieux, ils allaient pouvoir arrêter la guerre ", avaient-ils déclaré. Beaucoup de gens l'avaient cru et étaient heureux. Le déplacement de la ville vers la campagne était lent car les routes étaient encombrées. Certaines familles de privilégiés ne se doutaient de rien et se comportaient comme si elles allaient prendre quelques jours de détente à la campagne. Certains pique-niquaient, riaient gaiement. Ils croyaient qu'ils allaient jouir de la paix et de la liberté. Cela a duré un jour ou deux, pas plus. D'autres avaient déjà compris dès le début. Les Khmers rouges étaient excellents dans l'art de parler, de convaincre, de mentir et de duper. Ils utilisaient des ruses diaboliques pour tendre des pièges. Je me rappelle que peu après leur arrivée, ils avaient annoncé que puisqu'ils avaient libéré le pays, Sihanouk qui vivait en exil allait revenir.

Il fallait rassembler une garde militaire, annonçaient-ils, pour aller l'accueillir. Certains officiers espéraient récupérer leurs avantages perdus, d'autres ont pensé pouvoir bénéficier de cette situation pour s'attribuer un grade qu'ils n'avaient jamais eu et ils ont déclaré qu'autrefois ils étaient eux-mêmes officiers. Mal leur en a pris car tous ont immédiatement été tués. Le but des Khmers rouges était seulement de démasquer les militaires de l'ancien régime pour les exterminer. Ils étaient vraiment très rusés. Ils connaissaient bien l'âme humaine et au besoin jouaient sur la vanité et la cupidité des hommes... Je repensais à tout cela en marchant dans la ville déserte.

À Phnom Penh autrefois, les gens pauvres étaient très pauvres mais ceux qui étaient riches étaient très riches. Il y avait beaucoup de villas.
Dans certains jardins, la végétation avait tellement poussé qu'elle cachait complètement la maison. Les fruits tombés pendant des années avaient pourri en couches épaisses. Parfois, des petits arbres avaient poussé dans les ruelles dont le sol de latérite n'était pas goudronné.

Nous étions très émus en pensant que dans dix minutes nous serions dans notre maison qui se trouvait maintenant à moins de cinq cents mètres. Nous pouvions déjà apercevoir le toit de la maison voisine mais nous avons bientôt été arrêtés par des barrières de tôle et de barbelés qui nous empêchaient d'approcher. Toute la zone située dans un rayon d'un kilomètre autour du Palais d'État était surveillée par les troupes vietnamiennes. Notre maison, la plus pauvre du quartier, à trois cents mètres du Palais, était prise dans cette zone dite de sécurité. Ce n'est que plus tard, lorsque je travaillais à Phnom Penh, que j'ai pu aller la voir... Il n'en restait rien, que les piliers de béton. Elle était en bois et on l'avait complètement démontée pour récupérer les matériaux. Il n'y avait ni débris, ni cendres.

Nous avons été chassés de Phnom Penh ce même matin, vers huit heures, par les tirs de fusils mitrailleurs des troupes vietnamiennes.

Certains ont été arrêtés mais nous avons pu nous échapper par le fleuve et retourner chez nous. Il a fallu encore trois jours pour effectuer le trajet. Nous étions épuisés en arrivant.

Les gens avaient tellement été affamés pendant le régime des Khmers rouges qu'ils pensaient avant tout à leur estomac. Les Vietnamiens savaient bien que donner à manger était le meilleur moyen de faire travailler mais aussi de faire taire les protestations. On se demande ce qu'il est advenu du riz qui fut produit pendant le régime des Khmers rouges. Ils en avaient stocké d'énormes quantités à certains endroits, qu'ils ont fait brûler à l'arrivée des Vietnamiens. Il y a eu des montagnes de riz qui se sont consumées lentement pendant des semaines.
Seuls ceux qui avaient été désignés pour travailler pouvaient pénétrer dans la ville. Au début, ils vivaient en collectivité, en dortoirs sur les lieux de travail. Ce n'est que plus tard qu'ils ont eu le droit de faire venir leurs familles. Il était interdit de flâner, de se promener dans la ville, de dépasser certaines limites.

Lorsque je suis arrivé, j'ai été hébergé par quelqu'un qui m'avait connu pendant l'époque khmère rouge. Il faisait partie de la Direction du Quartier. Il a informé les autorités qu'autrefois j'avais été étudiant en médecine. J'étais heureux à la perspective de travailler car cela allait me permettre de revoir ma maison. Je pensais à mon père surtout qui voulait tant revoir sa maison avant de mourir. Je pensais qu'au moins je pourrais lui dire bientôt ce qu'elle était devenue. Hélas, je ne me doutais pas alors que, lorsque je pourrais aller la voir, je découvrirais qu'il n'en restait rien.

Les autres, ceux qui n'avaient pas encore eu l'autorisation d'entrer dans Phnom Penh, vivaient dans les banlieues, en collectivité dans des baraquements faits de quelques piquets de bambou, couverts de plastique ou de toile - des abris provisoires, des abris de fortune. Les autorités du quartier essayaient d'aménager les lieux. Il n'y avait pas assez de logements adéquats pour tous ces gens qui devaient vivre presque comme des cochons. Ils n'avaient rien à manger et devaient se nourrir de son et de liserons d'eau. À Phnom Penh même, c'était différent parce qu'il y avait les organisations internationales. Il y avait de la nourriture mais une fois dans la ville, on y était en liberté surveillée, en quelque sorte emprisonné.

Dès les premiers jours, les gens maintenus dans les banlieues ont commencé à s'infiltrer dans la ville pour récupérer ce qu'ils pouvaient, des matériaux de toutes sortes et diverses choses abandonnées par la population. On pouvait voir ces paysans qui, en grand nombre, essayaient d'entrer dans la ville mais que les soldats vietnamiens chassaient. Les Khmers rouges avaient stocké toutes sortes de matériaux et de produits, ainsi que de la nourriture, dans des magasins, des entrepôts et des wagons.

Tout ce que j 'ai vu emporté par ces pauvres gens était de petites choses. Les choses de valeur étaient stockées dans des endroits très bien surveillés. Ce ne sont pas les paysans qui les ont fait disparaître. Un jour, j'ai vu des Vietnamiens emporter dans des voitures et sur des remorques des centaines de postes de télévision. Ils en brisaient certains pour n'en prendre que des pièces. Il y avait un sanctuaire bouddhiste dans lequel, depuis sa création, beaucoup d'or et d'argent avaient été amassés. Un jour, vers quatre heures de l'après-midi, des voitures militaires et quelques Mercedes sont arrivées. Des gens armés en sont descendus, ont pointé des mitraillettes vers la foule des badauds et - je ne sais sous quel prétexte officiel - ont raflé tous ces trésors. J'ai vu ça de mes propres yeux. Cela s'est passé près de l'endroit où je travaillais.

Le 12 février 1979, les autorités du ministère de l'Information sont venues me chercher et m'ont emmené dans le centre de la ville pour travailler avec un médecin khmer sorti de la faculté de Phnom Penh en 1973. Il fallait mettre en route l'infirmerie du ministère de l'Information et de la Culture.

Quelques jours plus tard, je suis allé à la faculté de médecine qui se trouvait à deux cents mètres de là. J'ai été le premier étudiant à remettre les pieds sur l'escalier de cette fac.

Personne n'y était plus venu depuis avril 1975.

Ce jour-là, les bâtiments étaient encore déserts.
Une équipe cinématographique de Hô Chi Minh-Ville était là et a demandé à me filmer, déambulant dans cette immensité vide. Tous les livres de la bibliothèque étaient pêle-mêle sur le plancher. Cela peut paraître étrange mais je ne m'intéressais qu'aux livres...

 


Nous trouverons ici plusieurs extraits de presse concernant le procès des Khmers Rouges. La tendance générale reste la même: on en parle et on laisse penser qu'un procès va être tenu un jour, mais rien ne se construit vraiment pour la tenue de ce procès qui reste tout de même espéré par un certain nombre de cambodgiens, même si une majorité redoute qu'il ne ravive les plaies et qu'il serait préférable de parler de réconciliation nationale. D'autres ont peur, a juste titre qu'un procès soit une ouverture vers des recherches et des accusations. Au delà des principaux acteurs dirigeants, d'autres très nombreux ont participé aux crimes et tortures, et même si ils n'étaient pas décideurs ils étaient exécuteurs. Contraints ou librement volontaires c'est toute la question qu'ils ne voudraient pas voir posée.

 

Procès des Khmers Rouges: Hun Sen pique une nouvelle colère contre l'ONU

PHNOM PENH, 29 juin (AFP) - Le Premier ministre cambodgien Hun Sen a piqué une nouvelle grosse colère contre l'ONU en l'accusant vendredi de vouloir imposer ses vues sur le tribunal qui doit juger les anciens chefs khmers rouges "au mépris de la souveraineté du Cambodge".

"J'ai l'impression que l'ONU est en train de forcer le Cambodge à suivre sa volonté. Je pense que les Nations Unies veulent jouer avec le Cambodge, mais moi je m'en fiche", a déclaré Hun Sen, furieux, à l'issue d'un conseil des ministres.

"Le Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres de l'ONU. Que les Nations Unies participent ou non au tribunal, c'est leur problème", a-t-il dit.

Ce coup de colère survient au lendemain d'une visite du représentant spécial de l'ONU pour les droits de l'Homme au Cambodge, Peter Leuprecht, un professeur de droit autrichien, qui a émis des doutes sur l'indépendance et la compétence des juges cambodgiens.

Ce n'est pas la première fois que Hun Sen fustige les Nations Unies au nom de la souveraineté nationale.

Il estime ne pas avoir de leçons ou de pressions à recevoir d'elles, leur ayant souvent reproché d'avoir légitimé les Khmers Rouges en les autorisant à occuper le siège du Cambodge à New York pendant des années après la chute de Pol Pot (1979) et la découverte des "champs de la mort".

Le régime du "Kampuchéa démocratique", sous la férule de Pol Pot, est responsable de la mort de près de deux millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979, selon les historiens.

Ces nouvelles critiques surviennent alors que Phnom Penh et l'ONU doivent finaliser formellement les modalités d'organisation du tribunal cambodgien "à caractère international" chargé de juger des anciens dirigeants khmers rouges.
Hun Sen a promis la semaine dernière que la législation serait adoptée d'ici "août au plus tard" et que le procès pourrait commencer à la fin de l'année "à condition que l'ONU ne mette aucune entrave".
Toutefois, il a indiqué que son gouvernement ne débourserait pas un seul sou pour la création de cette cour spéciale internationale.
La question importante du financement du procès, et notamment du salaire des juges cambodgiens et étrangers, est donc loin d'être réglée.
Après des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte composé de trois chambres (première instance, appel et cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes les fonctions.
La semaine dernière, le conseil des ministres a approuvé une version amendée du projet de loi après modification d'une erreur de formulation.
Le texte doit repasser devant l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil constitutionnel avant ratification par le roi Norodom Sihanouk.
Selon Hun Sen, l'ONU a exigé du gouvernement et du roi qu'ils approuvent un texte "conforme à ce qu'elles veulent", ce qu'il considère comme inacceptable.
"Je veux dire à l'ONU de rester tranquille, de la boucler et de laisser le Cambodge travailler sur cette question", a-t-il dit.
L'une des questions les plus épineuses reste de savoir qui des survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes contre l'humanité.
Phnom Penh et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa Démocratique responsables des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79".

Deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang Kek Ieu, attendent en prison d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.

Les députés cambodgiens remettent le procès des Khmers Rouges sur les rails

PHNOM PENH, 11 juil (AFP) - L'Assemblée nationale du Cambodge a adopté mercredi la version amendée de la législation nécessaire à la création d'un tribunal "à caractère international" pour juger les anciens chefs khmers rouges.

Le projet de loi instaurant un tribunal spécial mixte --cambodgien mais à "caractère international"-- a été adopté, comme prévu, à la quasi unanimité des 88 députés présents.

Déjà adopté par les députés en janvier, le texte avait dû être renvoyé devant une commission gouvernementale spéciale chargée du dossier à la suite d'une erreur de formulation.

Le Conseil constitutionel s'était aperçu qu'un article faisait référence au code pénal de 1956 qui prévoyait la peine de mort pour certains crimes alors que le châtiment capital a été aboli en 1993 au Cambodge.

La procédure, qui devrait conduire à un procès historique de certains dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.

Le texte doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel avant d'être promulgué par le roi Norodom Sihanouk.

Il restera ensuite à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement les modalités d'organisation du procès.

Une fois le feu vert de l'ONU accordé, ce qui n'est pas encore acquis, devraient se dérouler l'instruction et le procès attendu par la communauté internationale.

Le Premier ministre Hun Sen a promis que la législation serait entérinée d'ici "août au plus tard" et que le procès pourrait commencer à la fin de l'année "à condition que l'ONU ne mette aucune entrave".

Hun Sen a récemment piqué une grosse colère contre l'ONU en l'accusant de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris de la souveraineté du Cambodge".

"Le Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est leur problème", a-t-il dit.

Le Premier ministre a aussi fait savoir que le gouvernement cambodgien ne débourserait pas un seul sou pour la création de cette cour spéciale.

La question importante du financement du procès, et notamment du salaire des juges cambodgiens et étrangers, est donc loin d'être réglée.

Après des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte composé de trois chambres (première instance, appel et cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes les fonctions.

L'une des questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes contre l'humanité.

Phnom Penh et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79".

Deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.

Les affidés de Pol Pot (décédé en avril 1998) sont tenus pour responsables de la mort d'au moins 1,7 million de Cambodgiens, selon le bilan généralement avancé.

 


Le procès des Khmers Rouges sur les rails, mais mise en garde de Sihanouk

PHNOM PENH, 11 juil (AFP) - L'Assemblée nationale du Cambodge a comme prévu adopté mercredi la version amendée de la législation nécessaire à la création d'un tribunal "à caractère international" pour juger les anciens chefs khmers rouges.

Mais le roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, a aussitôt mis en garde contre les risques que ferait encourir selon lui à la paix et à la prospérité du royaume un procès qui ne tiendrait pas compte de la réconciliation nationale.

Le projet de loi instaurant un tribunal spécial mixte --cambodgien, mais à "caractère international"-- a été adopté à la quasi unanimité des 88 députés présents.

Déjà voté par les députés en janvier, le texte avait dû être renvoyé devant la commission gouvernementale responsable du dossier à la suite d'une erreur de formulation.

Le Conseil constitutionnel s'était aperçu qu'un article faisait référence au code pénal de 1956 qui prévoyait la peine de mort pour certains crimes alors que le châtiment capital a été aboli en 1993 au Cambodge.

La procédure, qui pourrait conduire à un procès historique de certains ex-dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.

Le texte doit encore passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel avant d'être promulgué par le roi Sihanouk.

Il restera ensuite à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement les modalités d'organisation du tribunal.

Une fois le feu vert de l'ONU accordé, ce qui n'est pas acquis, devraient se dérouler l'instruction et le procès attendu par la communauté internationale.

Le Premier ministre Hun Sen a promis que la législation serait entérinée d'ici "août au plus tard" et que le procès pourrait commencer à la fin de l'année "à condition que l'ONU ne mette aucune entrave".

Hun Sen a récemment piqué une colère contre l'ONU en l'accusant de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris de la souveraineté du Cambodge".

"Le Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est leur problème", s'est-il fâché.

Il a aussi fait savoir que le gouvernement cambodgien ne débourserait pas un seul sou pour la création de cette cour spéciale.

Après des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte composé de trois chambres (première instance, appel et cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes les fonctions.

L'une des questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes contre l'humanité (1,7 million de morts).

Le roi Sihanouk a exprimé la crainte qu'un procès aveugle ne rallume des tensions, sinon des velléités de guerre civile, selon l'ancien patron de l'ONU au Cambodge, le Japonais Yasushi Akashi, qui a été reçu par le souverain.

"Le roi a été parfaitement clair : si la cause de la justice doit être servie, il faut aussi prendre en compte les accords passés et les négociations avec certains dirigeants khmers rouges", a dit M. Akashi.

Phnom Penh et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79".

Deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.

Mais les principaux hiérarques de la dictature polpotiste --Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan-- ont pris leur retraite dans d'anciens fiefs de la guérilla. Quant à Pol Pot, il est mort le 15 avril 1998 près de la frontière thaïlandaise.


Hun Sen réfute le bien-fondé d'un rapport américain sur le génocide cambodgien

PHNOM PENH, 18 juil (AFP) - Le Premier ministre cambodgien Hun Sen a mis en garde mercredi contre une "politisation" du procès des anciens chefs khmers rouges en soulignant que la question relevait de la justice.

L'avertissement de Hun Sen apparaît comme une réfutation directe d'un rapport américain publié lundi qui, selon ses auteurs, fournit pour la première fois des accusations criminelles détaillées contre sept anciens hauts cadres du régime de Pol Pot.

"Je veux simplement dire que si on est un expert de droit, on doit parler de droit. Et si on est un politicien, on parle de politique. Mais il ne faut pas mélanger droit et politique", a expliqué le Premier ministre à propos de la création d'un tribunal pour juger les anciens dirigeants khmers rouges.

"Il faut laisser la justice faire son travail", a-t-il ajouté.

L'étude américaine a été publiée par le bureau de recherche sur les crimes de guerre de l'American University de Washington.

Elle accuse nommément sept anciens hiérarques proches de Pol Pot qui sont toujours en vie: le "numéro deux" du régime khmer rouge, Nuon Chea, l'ancien ministre des Affaires étrangères Ieng Sary, Khieu Samphan, Ta Mok, Ke Pok, Sou Met et Meah Mut.

L'Assemblée nationale du Cambodge a adopté la semaine dernière la législation nécessaire à la mise en place d'un tribunal spécial mixte --cambodgien mais à "caractère international".

La procédure, qui devrait conduire à un procès historique de certains ex-dirigeants polpotistes, n'est pas pour autant terminée.

Le texte doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel avant d'être ratifié par le roi Norodom Sihanouk.

Enfin, et cela est loin d'être acquis, il restera à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement les modalités d'organisation du procès, en fait à "renégocier" un accord.

Une fois le feu vert de l'ONU accordé, devraient se dérouler l'instruction et le procès attendu par la communauté internationale. Il paraît de plus en plus probable que ce processus prendra des mois, sinon des années.

Hun Sen a récemment piqué une grosse colère contre l'ONU en l'accusant de vouloir imposer ses vues sur le tribunal "au mépris de la souveraineté du Cambodge".

"Le Cambodge fait ce qui est bon pour les Cambodgiens et n'est pas aux ordres de l'ONU. Que les Nations unies participent ou non au tribunal, c'est leur problème", a-t-il répété.

Après des mois de négociations, le Cambodge et l'ONU se sont mis d'accord l'an dernier sur la création d'un tribunal spécial mixte composé de trois chambres (première instance, appel et cour suprême) au sein duquel les deux parties se partageront toutes les fonctions.

L'une des questions les plus épineuses reste de savoir qui exactement des survivants de la hiérarchie khmère rouge, presque tous en liberté, sera traduit en justice pour génocide et crimes contre l'humanité.

Phnom Penh et l'ONU sont convenus de poursuivre "les hauts dirigeants du Kampuchéa Démocratique (nom officiel de la dictature de Pol Pot) responsables des crimes les plus graves commis durant la période 1975-79" (près de deux millions de morts).

Deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", attendent en prison d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.

Mais les principaux hiérarques de la dictature polpotiste --Nuon Chea, Ieng Sary, Khieu Samphan-- ont pris leur retraite dans d'anciens fiefs de la guérilla. Quant à Pol Pot, il est mort le 15 avril 1998 près de la frontière thaïlandaise.

No 3 du Kampuchéa Démocratique, chef de sa diplomatie et beau-frère de Pol Pot, Ieng Sary a bénéficié d'une grâce royale en 1996 après s'être rallié au gouvernement avec 4.000 maquisards, une défection qui avait porté un coup fatal à la guérilla khmère rouge.

 

Deux ex-fidèles de Pol Pot continuent à nier les crimes des Khmers Rouges

PHNOM PENH, 20 juil (AFP) - Deux anciens hiérarques khmers rouges, Nuon Chea et Khieu Samphan, ont récusé les conclusions d'un rapport américain associant les hauts cadres du régime de Pol Pot à la mort de près de deux millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979.

Dans une interview publiée vendredi par des hebdomadaires régionaux, le Phnom Penh Post et la Far Eastern Economic Review, Nuon Chea, numéro deux de la dictature polpotiste, réitère son refus d'accepter la responsabilité du génocide.

"Peut-être que des gens ont été tués, mais ils sont seulement morts de faim et de maladie", assure "Frère No 2" (Pol Pot, décédé en 1998, était le No 1).

"Nous n'avons jamais eu comme politique de tuer des gens", poursuit Nuon Chea, âgé de 74 ans, considéré comme l'idéologue des Khmers Rouges.

"Ceux qui ont trahi la nation ont tué les Khmers. Ce sont eux les ennemis", explique-t-il en reprenant le vieil argument des Khmers Rouges selon lequel les tueries ont été perpétrées par des "traîtres" à la solde des Vietnamiens ou par des Vietnamiens eux-mêmes.

L'objectif du Kampuchéa Démocratique (KD, nom officiel du régime) était "de donner du riz trois fois par jour et un dessert une fois par semaine", dit-il.

Interrogé lui aussi, Khieu Samphan, 70 ans, chef d'Etat du Kampuchéa Démocratique puis leader nominal du mouvement khmer rouge, dément avoir joué le moindre rôle dans la mise en oeuvre des exécutions.

L'étude américaine, publiée lundi, fournit pour la première fois selon ses auteurs des accusations criminelles détaillées contre sept anciens hauts cadres du régime de Pol Pot, dont Nuon Chea et Khieu Samphan.

Ces derniers ont pris leur retraite à Pailin, un ancien fief de la guérilla khmère rouge près de la frontière thaïlandaise, après s'être ralliés au gouvernement du Premier ministre Hun Sen en décembre 1998.

Tous deux se sont déjà dits prêts à comparaître devant un tribunal, sans cesser de proclamer leur innocence.

Seulement deux hauts cadres khmers rouges, le chef de guerre Ta Mok et le tortionnaire Kang Kek Ieu, plus connu sous le nom de "Douch", ont été arrêtés et attendent en prison d'être jugés. Ils sont les seuls, à ce jour, à être inculpés.

Le rapport américain a été publié peu après que les députés cambodgiens eurent adopté la législation nécessaire à la mise en place d'un tribunal spécial mixte --cambodgien mais à "caractère international"-- pour juger les anciens dirigeants khmers rouges.

La procédure n'est pas pour autant terminée.

Le texte doit désormais passer devant le Sénat et le Conseil constitutionnel avant d'être ratifié par le roi Norodom Sihanouk.

Enfin, et cela est loin d'être acquis, il restera à Phnom Penh et à l'ONU à finaliser formellement les modalités d'organisation du procès, en fait à "renégocier" un agrément mutuellement acceptable.

Une fois le feu vert de l'ONU accordé, devraient se dérouler l'instruction et le procès attendus par la communauté internationale. Il paraît de plus en plus probable que ce processus prendra des mois, sinon des années.