LES CAMBODGIENS DANS LA VIE DE CHAQUE JOUR

 

A partir d'une étude de Jérôme Rouer LE COMPORTEMENT

Cette page du site sera plus spécialement consacrée à la façon particulière dont se comportent les cambodgiens dans leur vie courante. On y retrouvera des thèmes forts comme celui de la soumission asiatique,qui aideront à la compréhension des phénomènes politiques du Cambodge, que ce soit la fin d'Angkor, l'attitude de la population devant les Khmers rouges, les amnisties à l' égard de ceux-ci ou les rivalités actuelles entre Hun Sen et Rannaridh.

Mais tout d'abord, nous allons évoquer les règles de politesse usuelles et aussi tenter de mieux comprendre la psychologie de l'attitude des cambodgiens dans leur vie courante.

La politesse et le comportement étaient antérieurement à la période khmers rouges, régis par des lois et des rêgles qui ont été quelque peu bousculées par le diktat des communistes, qui voulurent faire table rase d'une culture pour imposer la leur. C'est ainsi que le salut, qui répond à des rêgles strictes selon l' âge de celui qui salue par rapport au salué avait été réduit à son expression la plus simple.

Le régime Khmer Rouge puis le régime communiste de Heng Sarim ont changé profondément les rapports entre les personnes. La politesse traditionnelle comportait tout un code de langage minutieux qui marquait les liens du sang et la hiérarchie sociale. Du jour au lendemain ce protocole fut remplacé par le seul mot mit ou samamit (camarade) suivi par la dernière syllabe de leur prénom ou par les mots "ainé", "cadet" ou "enfant"..
Depuis, cette époque, une grande partie de la politesse traditionnelle a disparue.

Les rêgles de la politesse

La discrétion, le respect d 'autrui et la dignité sont les principes essentiels de la politesse, comme le montrent certains des préceptes de la plus élémentaire bienséance khmère: se baisser en passant devant quelqu'un, ne pas parler fort, ne pas faire de bruit en mangeant, ne pas parler la bouche pleine, présenter un plat, un verre, en le tenant par la base, attendre que le voisin ait fini de se servir pour prendre une part dans les plats disposés au centre des convives, ne pas choisir uniquement ce que vous aimez dans les mets proposés, ne pas refuser ce que l'on vous offre et, si l'on trouve quelqu'un en train de manger, se retirer discrètement, avec une excuse habile si, par courtoisie, on vous propose de partager le repas....

D'autres règles sont inspirées par les mêmes soucis, mais conditionnées par le mode de vie local : on ne comprendrait pas, par exemple, la très grande importance donnée à ce que le khmer, la femme en particulier, apprenne à marcher légèrement chez soi ou chez quelqu'un, si l'on ne savait pas que, dans la maison ordinaire, les lattes des planchers surélevés vibrent aisément sous un pas trop fort, et que les gens, vivant assis ou couchés sur des nattes, sont directement atteints par ces vibrations. Dans ce cas, les jeunes filles khmères sont très critiquées et traitées de "Sreï khat léak" ce qui signifie littéralement "fille sans aucune qualités": "souillon!" si elles ont le pas lourd dans la maison ou si elles marchent à grands pas rapides qui provoquent le bruit de leur sampot( Curieusement, un ami me faisait remarquer que l' équivalent masculin " pro khat lèak" n'existe pas.....)

Des usages qui sont le prolongement des mœurs anciennes restent toujours, comme les génuflexions devant les princes. Le sompéah, accompagné des mots "tchum reap sour" (bonjour), façon de saluer en plaçant les paumes à plat l'une contre l'autre et les levant ainsi à une hauteur différente suivant le rang de la personne. Pour les Khmers, on peut aller de la poitrine jusqu 'au front selon le rang de celui que l'on salue.

Au temps où l 'on n' allait guère autrement que pieds nus, les Khmèrs ne se souciaient pas de savoir si l 'on enlevait des chaussures pour entrer dans le temple.
La règle du déchaussage a commencé à se répandre à la suite du voyage d'un religieux Cinghalais, qui a fait savoir en même temps qu 'il trouvait irrévérencieux de fumer devant l 'autel du Bouddha. Cela ne veut point dire que les Cambodgiens manquaient de respect, mais qu 'ils l'exprimaient autrement. Autrefois, un homme se dénudait le buste, en signe d'humilité peut-être, pour entrer à la pagode; aujourd'hui au contraire, il revêt une veste. Quant aux femmes, elles ont gardé de l'époque où c 'était le seul voile de leur buste l'habitude de mettre par révérence une écharpe sur leur corsage, et seraient fort gênées de ne pas en avoir pour aller à la pagode. Par contre, les femmes comme les hommes ayant coutume de se découvrir la tête devant un supérieur, ce qui le plus souvent consiste à enlever le kramà qui protège du soleil, ni les unes ni les autres ne songeaient à pénétrer le crâne couvert dans les pagodes.

Mettant leur fierté à être discrets, les Cambodgiens n'en considèrent pas moins l'hospitalité comme le premier des devoirs.
Certes, grâce aux Sàlà des voyageurs, que tout village de quelque importance construit comme œuvre pie, les étrangers qui passent restent en marge des villages. Mais si l'étranger se trouve contraint à demander abri, si la moindre connaissance est de passage, alors tout est mis en œuvre pour bien recevoir l'hôte.

1- La fluidité ou l'art de contourner :

Deux concepts, fluidité et récurrence, caractérisent le monde khmer.

Non seulement le Khmer a une faculté prodigieuse pour oublier son passé, même le plus proche, mais, en plus, il ne modifiera pas des comportements sanctionnés par des expériences vécues. En d'autres termes, il ne tiendra pas compte du vécu pour modifier son attitude et améliorer le présent ou le futur. Jamais il ne fait l' analyse des évènements, jamais il n'organise, de séances de réflexion, de "debriefing" après avoir vécu dans son milieu professionnel, des situations de crise.

En tous domaines, il répète des modèles ataviques sans se soucier de savoir s'ils restent pertinents.
Depuis des siècles, création et innovation sont des tabous profondément ancrés dans l'inconscient individuel et social : on n' essaye pas d'améliorer quelque chose qui ne donne pas satisfaction, on l'abandonne.

La récurrence caractérise pleinement l'histoire du Cambodge.

Fluidité et récurrence s'expriment, se retrouvent ou s'expliquent:

Le Khmer est un mystique qui vit en symbiose avec tout un monde de forces surnaturelles.

Fondamentalement paysan, "homme de la rizière", le Khmer se doit de se concilier l'eau et la terre. Il ne peut vivre sans le secours des divinités, des Neak ta, des esprits, et du bouddhisme local qui a su assimiler tout ces mondes surnaturels.
Sans la religion, le Cambodge n'existe pas.

Cette attitude ressortait de siècles d'oppression et de soumission dont les humbles ne sont encore pas parvenus à s'affranchir et que justifie le discours bouddhique traditionnel. Ils croient que les affaires de l'Etat et que leur destin même ne les regardent pas, que ces derniers dépendent entièrement de quelques personnes désignées pour ce faire en vertu de leur karma . La majorité des paysans, des artisans et des ouvriers raisonnent ainsi: "Si l'on subit des oppressions et connaît la misère et les souffrances, il faut se résigner et les accepter avec sérénité; car, dans les précédentes vies, on a commis des fautes et des délits; et maintenant arrivent les "punitions" que l'on doit payer. " De telles façons de penser n'anéantissent pas les vélléités de résistance, mais celles-ci s'expriment d'abord par l'effort pour se soustraire à toute emprise, ce qu'on appelle généralement, à tort, passivité. Sauf quand elle a été trop longtemps contenue, et elle peut alors exploser en une violence sans limite, la protestation ne prend généralement pas des formes ouvertes - ce qui reviendrait à s'exposer à l'anéantissement de la part des puissants -, mais elle passe par de multiples expressions de secrète mauvaise volonté masquée sous des apparences d'inébranlable bonne volonté. On retrouve le concept de la fluidité.

De nombreux dictons de sagesse populaire entretiennent ce genre d'attitude : " oeuf, ne te heurte pas au rocher (Pông moan kon chul noeung thmâr) "; " Le téméraire a une peau vulnérable, le peureux une peau qui dure (Neak sbêk dach, neak khlach sbêk kong) "; " Accepter la défaite, c'est devenir Bouddha (Chanh ban chéa Preah)",..
Malléable en apparence, le peuple khmer se comporte souvent comme l'anguille qui glisse entre les doigts de ceux qui veulent la saisir.

Le Cambodgien est fier d'être khmer:

Cette grande fierté est due, à juste titre, à un lointain passé politique et culturel prestigieux dont il ne reste malheureusement qu'un complexe, le complexe d'Angkor : le Khmer, toutes tendances politiques confondues, rêve de restaurer le royaume des Khmers dans son antique puissance. Mais, depuis 1431, il a, sur le plan politique, perdu confiance en lui. Depuis 1970, sa culture, déjà mise à mal, est plus qu'en péril : ce que les grands voisins et les Khmers rouges n'ont pas détruit, télévision, Coca Cola et dollar s'en occupent.
Le fondement de traditions qui régissait et adoucissait le comportement social n'a plus le pouvoir qu'il avait, et les relations sociales se durcissent...

L'identité et la cohésion sociale cambodgienne est de nature culturelle et non ethnique ou politique. Pour etre Khmer, il suffit de connaître les traditions, la culture et de parler la langue.Quiconque parvient à ce stade sera reconnu comme khmer car il appartient à la communauté culturelle.
Les fréquentes et interminables discussions quant à ce qui est purement khmer, "khmaer sote" montrent un attachement mystique à cette culture, comme s'il n'y avait point de salut hors d'elle.

Il est fréquent d 'entendre les Khmers avouer avec résignation les défauts de leur peuple : "Nous, Khmers, nous sommes comme cela...", "nous ne savons pas nous unir...", "je ne veux pas que ma fille se marie avec un Khmer...", "Les Vietnamiens, les Chinois savent se débrouiller, nous, nous ne savons pas..."
Le voisinage de cette résignation désabusée avec une fierté innée explique la violence imprévisible, l'amok, que peut manifester le Khmer, surtout en groupe, lorsqu'il se sent bafoué ou acculé.

Mais il n'est pas xénophobe, à une sévère exception près: Le Vietnamien, le "yuon", qui est considéré comme l'ennemi héréditaire.
Au cours de l'histoire le Vietnam a plusieurs fois envahi et colonisé le pays sans ménagements et en manifestant son profond mépris pour ceux qu'il nomme les moïs ( les hommes des montagnes, les barbares). L'antagonisme a été forgé au cours des siècles et appartient au subconscient khmer.

le Khmer est spontanément neutre et tolérant, doux, gentil et placide .

Il faut y voir l'influence et l'action profonde du bouddhisme .
Il convient cependant de noter que le Khmer a eu, de tout temps, la réputation d'un soldat valeureux et dur au combat, redoutable au corps à corps. ( durant les guerres du Vietnam, chefs de bataillons français, américains et même sud-vietnamiens, se faisaient seconder de préférence par des Khmers krom (province cambodgienne "annexée" par le Vietnam avec l'aide malencontreuse de la France)

Dès que le bouddhisme s'efface, le Khmer paisible devient un tigre. Citons le temps d'Angkor et de ses conquêtes guerrières (époque du brahmanisme), celui des Khmers rouges dont une des actions les plus systématiques pour asseoir leur pouvoir a été de détruire la religion, les atrocités de l'armée gouvernementale, que ce soit du temps de Sihanouk ou de Lon Nol, les meurtres et agressions du Phnom Penh des années 1980-1990...

Une des expressions de la gentillesse khmère passe par son légendaire sourire, qui, sur le plan psychologique, demande une explication :

Une des constantes dans la personnalité de tout asiatique est "la Face". La Face, c'est l'image que l'homme veut donner de lui-même, la dignité de sa propre personne et des autres. D 'un homme important on dira "qu 'il a de la Face". La Face régit les relations individuelles et sociales.
Le Khmer sauvera sa Face, son intimité, derrière son énigmatique sourire. Ce sourire ne signifie pas automatiquement une joie intérieure, c'est plus souvent le rempart derrière lequel il pourra se réfugier, cacher ses sentiments ou son vide intérieur. C'est à la fois une autodéfense et l'expression du respect d'autrui. (Exemple: La mort d'un être cher sera annoncé avec ce sourire, non parce que l'on n'éprouve aucune peine, mais pour ne pas dévoiler son intimité ni gêner l'autre).

La dignité personnelle et familiale est le moteur de la Face.

Toute atteinte à la Face est ressentie comme une grave injure : faire des reproches, même justifiés, mais en public, injurier quelqu'un en public c'est lui "faire perdre la Face", en langue khmère c'est "le tuer" car les paroles tuent autant que les armes. Un Khmer, qu'il soit roi, premier ministre ou simple paysan, est capable de se ruiner et de tout perdre y compris ceux qu'il aime afin de détruire celui qui l'a "tué" socialement.
L'observation des décisions politiques nous montre que bien souvent elles répondent plus souvent à ce principe qu 'à toute autre logique...)

Le Khmer ne s'implique pas, ne prend pas d'initiatives. C'est sa façon à lui de respecter et de valoriser l'observance de la Face.
Sa règle de conduite en société est de ne pas se différencier de ses voisins, de ne pas se mettre en avant, de ne rien faire afin d'éviter à subir le jugement des autres, de rester discret.
Il ne fera une demande que s'il est à peu près sûr qu'elle lui sera accordée. C'est un principe que l'on observe couramment dans les relations professionnelles lorsque l'on travaille avec des Khmers. Jamais il ne demande une augmentation ou un avantage s' il sait qu'il ne lui est pas dû. Bien plus encore, en cas de retard, ou d'erreur sur son dû, il hésitera à se faire remarquer en réclamant ce qui lui revient de droit. Il en parlera avec ses homologues, ou des collègues qui se trouvent dans une situation analogue, avant de se décider à entreprendre une démarche personnelle, et ce sera en vérité, souvent une action de groupe par peur sans doute de se singulariser. Pour ne pas avoir à affronter directement, il procèdera souvent par écrit, même s 'il doit pour cela se faire aider.
S' il sait quelque chose imparfaitement, au contraire des chinois et des vietnamiens, il dira qu'il ne sait pas. Cette attitude le dévalorise, il est incapable de se mettre en valeur et le curriculum vitea d'un khmer sera toujours incomplet, sauf pour ceux d'entres eux qui ont séjourné longuement à l'étranger. Au contraire, les franco khmers exploitent largement ces failles et n'hésitent pas à en rajouter pour se valoriser et atteindre ainsi des postes que le khmer n'imagine pas être même à sa portée.

La méfiance et la défiance (kar min duk citt) gouvernent ses relations sociales avec l'inconnu, celui qui n'est pas de sa famille, de son village, celui qu'il rencontre pour la première fois et qu'il ne peut pas identifier avec certitude...

Par contre, ce n'est pas réellement le cas avec l'occidental de passage avec qui le Khmer aura facilement un contact chaleureux.

"Lorsque tu remontes ta barque, (sur la rive) ne laisse pas de traces. Lorsque tu as attrapé un poisson, ne trouble pas l'eau."

L'anak Krau, "celui du dehors" suscite la crainte qui engendre méfiance et suspicion, si ce n'est une réaction d'hostilité contenue.
D'une façon générale le Khmer a peur d'autrui et de l'autorité;. Il commence fréquemment ses lettres ou ses phrases en s'excusant, demandant pardon de parler ou d'écrire, comme si s'exprimer risquait d'offenser. La conclusion normale d'une lettre est: "Possible ou impossible, je vous demande pardon".

Dans la vie de tous les jours ce principe de méfiance est très estompé. Il se réduit à une sorte de réserve dans le contact, un manque de présence et de jovialité, souvent considérés à tort par les occidentaux comme de la timidité.
Typiquement le premier contact social du Khmer est rigoureusement l'inverse de celui de l'Indonésien et vous aurez bien de la chance s'il décline son nom spontanément... Par chance, la manie de la carte de visite a atteint le Cambodge et tout le monde en possède à son nom, que l'on soit secrétaire d'état ou pompiste.

Recto Verso

La famille khmère est présidée par les anciens (grands-parents, parents, oncles et tantes aînés). Ils doivent être toujours respectés et consultés pour les décisions importantes, sous peine de faire une faute grave.

La préséance d'âge est une des caractéristiques du savoir-vivre khmer.
Les enfants sont sacrés et font pour ainsi dire ce qui leur plaît. L'enfant adoptif a les mêmes droits que l'enfant de sang.
Polygame en théorie et s 'il est assez riche, le cambodgien est monogame dans la grande masse de la population.
La femme cambodgienne est objet des plus grands égards. Le divorce est libre et peut être demandé par l 'un ou l 'autre des époux. Aucun préjugé n 'est attaché au statut de femme veuve ou divorcée. Cependant une jeune femme avec un enfant aura du mal à se remarier ou à trouver un nouveau compagnon, l 'enfant d 'un premier mariage étant une charge, et son statut de possible fille-mère n'étant pas représentatif des bonnes moeurs.
Les liens familiaux obligent: l 'entraide, financière ou autre, est obligatoire à l'intérieur de la famille. De nombreuses familles survivent par le salaire d'un seul membre qui n'est pas nécessairement le père. Si le père, la mère, les enfants travaillent, tous les salaires sont mis en commun pour assurer le bien être et le devenir de la communauté familiale.

Le peuple khmer dans son ensemble se considère comme une seule famille et c'est par la famille que le Khmer sent l'attachement qu'il porte à son pays. Un khmer peut perdre goût à la vie parce qu'il est sans nouvelles des siens...

Il est indifférent à tout ce qui n'est pas son environnement personnel immédiat ...

Sa maison est plus importante que son village : il construit où il veut, comme il veut.
Déménager ne lui pose aucun problème, et, bien que paysan, il n'est pas enraciné dans un terroir ni attaché à la terre, au sens occidental bien que le défrichage des parcelles par ses parents ou ancêtres puisse avoir à ses yeux, beaucoup d'importance. Mais sa maison est par contre un domaine inviolable. (Le "village" n'est pas un ensemble d'individus ancrés à une terre-propriété mais un tissu de relations sociales et familiales. Les premiers colonisateurs français étaient confondus devant la mobilité des Cambodgiens)

Il n'admet aucune ingérence dans ses affaires personnelles, il refuse tout autant de se mêler de celles d'autrui: cela ne l'intéresse pas. Le souci du bien commun ne peut pas primer sur celui de la tranquillité personnelle et de la paix familiale.

Son village est plus important que son pays: Les responsables des armées ont de tout temps raconté comment les troupes cambodgiennes se volatilisaient au fur et à mesure que les hommes levés s'éloignaient de leur village. L'unique remède était de faire accompagner les soldats en campagne de leur famille; d'où le pittoresque équipage des armées cambodgiennes, femmes et enfants sur le terrain, généraux et gradés paradant en ville pas trop loin de leur petite famille; d'où aussi, bien que les Khmers soient intrinsèquement de bons combattants, l'inefficacité congénitale de cette armée...
" Nos soldats désertent, car les camions de notre armée s'arrêtent près des marchés et vendent ce qui est envoyé aux soldats combattants. Il ne reste plus que quelques dizaines de soldats dans chaque bataillon..." (Norodom SIHANOUK après le dernier échec pour la reconquête de Païlin en 1996.)

Et même ses propres idées politiques passent avant l'intérêt national : un général de tel parti n'enverra pas ses troupes aider un colonel de tel autre parti pris dans une embuscade...

Conscients de ces phénomènes, les grands rois d'Angkor les avaient enrayé pour un temps en pratiquant une justice aux châtiments sévères, surtout pour les fonctionnaires et les soldats qui, par ailleurs, étaient couverts d'honneurs et d'argent en cas de réussite. Ils avaient créé une immense machine administrative, ultra centralisée et bien huilée, que le Cambodge n'a jamais voulu retrouver... Nombreux sont les fonctionnaires et les militaires d'après-Angkor qui n'ont joué que le rôle de parasites prédateurs.

le Bien Public, la politique ne sont pas son souci.

Braconnage, piraterie, rançonnage, corruption ont toujours été endémiques.

Aussi étrange que cela puisse paraître, la notion de société nationale au sens d'un ensemble communautaire et solidaire d'hommes, n'est apparu qu'en 1940. Encore fallut il l 'imposer et créer un néologisme, le mot "Sangkum", pour tenter de conceptualiser la société cambodgienne aux yeux des Khmers.

Alors que son rêve est de devenir fonctionnaire, car il a conscience de la sécurité et aussi surtout de la facilité avec laquelle ce poste peut lui rapporter un plus, par la position qu 'il occupe et les facilités de corruption qui s' y rattachent, le Khmer montre néanmoins une véritable allergie à toute forme d'organisation administrative : ce sont les Français qui ont imposé, difficilement, cadastre et état-civil (1908), détruits sans états d'âme par d'autres Khmers après vingt ans d'indépendance. Ce n'est que trente ans après que l'on songe à remettre en place ces structures, en confiant le travail à des étrangers...ou des franco khmers.

Par essence les relations politiques sont fondées sur le clientélisme opportuniste et non sur l'idée de la chose publique ou de l'intérêt général. D'où la résurgence de la concussion, méthode institutionnelle pour s'attacher des soutiens politiques. L 'intégrité des hommes politiques reste a démontrer.

La grande faiblesse économique du Cambodge relève depuis toujours de sa conception du pouvoir et de la fonction publique. Tout comme "régner" se dit "croquer le royaume", le rôle du fonctionnaire est d'utiliser les pouvoirs qui lui ont été confiés pour s'enrichir sur le dos de ses administrés. Jamais le pouvoir politique n'a payé ses fonctionnaires autrement que symboliquement : aucun poste de fonctionnaire n'est considéré comme une charge ou un devoir ; c'est uniquement une ferme exigeant allégeance envers le pouvoir; plus on monte dans la hiérarchie, plus la ferme est chère, plus elle doit rapporter. Donc toute autorisation, tout papier officiel, même ceux réputés gratuits d'après la Loi, doit se payer "sous la table". Comment s'illusionner sur le sort économique de ce pays quand les investisseurs sont, naturellement et sans penser à mal, soumis à pareil racket institutionnel ? ( Chacun peut observer que tel ministre, exilé en France ou ailleurs, était un "père la vertu", dénonçant doctement et sincèrement concussion et corruption, et que quelques mois de pouvoir lui ont suffi pour retrouver avec délectation les vieux démons du Cambodge )

Le besoin d'unité politique n'est pas réellement ressenti. Le Cambodgien a une piètre opinion de ses hommes politiques, les jugeant au pire comme des voleurs, au mieux comme des parasites: ils existent, ont une grande capacité de nuisance et il faut s'en méfier. Donc les laisser faire et continuer à faire comme s'ils n'existaient pas.
Ce hiatus entre le monde des gouvernants et celui des gouvernés provoque une absence dramatique d'esprit civique : le seul bâtiment public que le Khmer accepte d'entretenir sans considérer qu'il s'agisse d'une brimade inutile est sa pagode. Encore ne le fera-t-il qu'à la veille de sa mort... et par des dons manuels auprès des moines.
Entretenir le bien public, école, hôpitaux, routes ou canaux, parcs et jardins, c'est déchoir. Chacun semble être né en prononçant la célèbre maxime de Louis XVI, "Après moi, le déluge!". Le traumatisme de vingt ans de guerre civile, l'intrusion de riches voisins indifférents au devenir du pays, la course à l'argent facile, ont encore accentué ce phénomène qui apparaît à l'état caricatural dans deux domaines : la déforestation, "gérée" par des Khmers, et le déminage qui, par essence, doit être payé et effectué par des étrangers. Se prendre en charge, punition infligée par les Khmers rouges au peuple des villes, ne vient pas à l'idée, l'exercice du Pouvoir s'inscrit naturellement dans une idéologie totalisante.

Le vieux fond hindouiste, qui considère l'autorité comme une incarnation divine, demeure vivace chez les Khmers. Le Khmer obéit instinctivement à l'autorité en place, quelle qu' elle soit. (En 1975, tous les citadins ont quitté leur maison sur un simple ordre...et sans opposition). On ne s'oppose pas à l'ordre, on évite de se singulariser dans une opposition, de peur d'être le seul à le faire.
Ce respect de l 'Autorité supérieure, qui confine parfois à de la veulerie, est la marque d'Angkor. En ces temps un ordre supérieur était un ordre divin, le roi était dieu. Le peuple avait ou se devait d'avoir une confiance aveugle, devenue fondamentale, dans la capacité des dirigeants au pouvoir. Les abus de confiance des dirigeants des dernières années font que la nouvelle génération amorce le début d'un commencement d'esprit critique, d 'autant que l 'exode des plus chanceux ou des plus fins, vers les pays occidentaux comme les USA, l' Europe ou l 'Australie provoquée par la prise du pouvoir par les Khmers Rouges, a entrainé une prise de conscience et à terme, une réactivité des cambodgiens qui commencent à réaliser que tout du Cambodge et de ce qui s 'y passe n'est pas la panacée et qu'il sont plus qu'il ne faut, abusés.

Hors les jeux du pouvoir et de l'argent, il est d'une rectitude morale et d'une honnêteté inhabituelle dans la région.
La tradition paysanne faisait que les maisons, même isolées, n'avaient pas de porte.
Avant les événements, vous pouviez laisser bagages et effets personnels dans la maison du voyageur... Même un appareil photo.
Cependant la notion d'objets personnels est peu marquée : on emprunte facilement les vêtements de l'autre, on entre dans une pièce, même la chambre à coucher, sans avertir, on lit le courrier ou ce qui traîne sur le bureau. Il faut de longues explications aux secrétaires pour qu'elles comprennent ce que "confidentiel" veut dire. Une simple lettre adressée à votre nom peut être décachetée et lue sans penser à mal.
Un européen trouvera ce comportement sans-gêne et irrespectueux, alors qu'il ne s'agit que d 'une manière de vivre différente.

Face aux situations critiques, dangereuses ou inconnues, il devient profondément individualiste. Devant le danger, il joue toujours personnel.

Moralement le khmer vit toujours sous la surveillance constante de l'invisible : divinités, ancêtres, génies... Physiquement il est toute sa vie dans l'incapacité matérielle de s'isoler, la société étant conçue de telle sorte qu'il n'est jamais seul, de sa naissance à sa mort.

Fondamentalement le Khmer croit uniquement en sa chance personnelle, celle qui lui est personnellement accordée par les dieux et les génies. En cas de problème il ne fera pas appel à la solidarité de son groupe social car il sait que celle-ci, absolument effective en période heureuse, s'évanouit totalement en période de crise.
En Occident l'appel à la solidarité se fait en périodes noires et semble tout à fait inutile quand tout va bien. C'est le contraire au Cambodge : lorsque l'on aide quelqu'un, moralement ou financièrement, c'est que vraiment il n'en a pas besoin. Si la personne est en situation de crise on la traite avec une totale indifférence, on la laisse se débrouiller. Car le malheur qui arrive est forcément soit un châtiment kharmique soit la manifestation de la légitime colère des génies offensés : strictement personne n'y peut rien et essayer de changer le cours des choses serait vain et prétentieux.

Ce phénomène social de solidarité inversée, observable tous les jours, fait dire à beaucoup d'occidentaux que le Khmer est à la fois égoïste et fataliste. Raccourci ravageur et innaproprié. Certes il manque de charité chrétienne, mais c'est simplement parcequ' il est profondément bouddhiste et qu'il fonctionne avec d'autres valeurs ! (Il faut garder en mémoire l'échec total de nos missionnaires ici et le comparer avec leurs succès au Vietnam)
Ne pas oublier cependant que l'entraide villageoise au niveau des grands travaux (repiquage du riz, construction d'une maison) est une chose normale et spontanée.

S'il ne peut contourner une situation conflictuelle, ce qu'il essaiera en priorité, il privilégiera les rapports de force et l'intimidation.

Le premier réflexe spontané du Khmer est d'éviter le conflit, de contourner, et ce d'autant plus fortement qu 'il est bouddhiste pratiquant. On retrouve ici le principe evoqué de la fluidité.

Mais, issu d'une race guerrière et dominatrice qui avait soumis la majeure partie de la péninsule, le tempérament khmer révèle constamment une agressivité latente qui s'exprime sous de multiples couverts. Par chance, le khmer a une prédilection pour les formes les plus puériles d'expression de l'agressivité:

La plus commune est paradoxalement l'apathie, forme élaborée du refoulement de l'agressivité. Typiquement, l'employeur qui passe un savon à l'un de ses ouvriers n'aura pour toute réaction qu'un sourire niais et imbécile. Et il peut être certain que l'ouvrier n'entend pas ce qu 'il lui dit.
S'il y a des témoins ou s'il est en public, il sera facilement m'as-tu-vu, dédaigneux ou fanfaron, mais il sera rarement grossier ou impoli. Mais attention à ne pas lui faire perdre la Face!

S'il est demandeur, il invoquera bruyamment ses relations en haut-lieu,

S'il est puissant, il pratiquera l'intimidation avec force mises en scène (voir l'appareil innénarable des déplacements des personnalités !)

Enfin et plus grave, il peut être sujet à des réactions violentes analogues à l'amok des indonésiens.
Mais, en général, si le conflit s'aggrave, il fuira ou passera à autre chose, sans rancune ni amertume. A l 'exception notable de la période angkorienne et de la période Lon Nol-Khmer rouge-Vietnam, la société cambodgienne a rarement fait preuve de violence ou de barbarie. Les choses s'arrangeaient à la cambodgienne...

Aucun travail ne le séduit, à part la rizière ou la bureaucratie, de préférence en tant que fonctionnaire et dans un bureau.

"Le Cambodgien est exclusivement cultivateur (ou fonctionnaire). On ne peut pas dire qu'il soit ni ouvrier, ni industriel, ni commerçant. Ce n'est que pour mémoire qu'on peut parler de quelques artisans, ou plutôt de quelques orfèvres du palais ou des pagodes, dernier refuge de l'industrie khmère autrefois florissante, mais délaissée, autant dire oubliée, au cours des malheurs séculaires qui frappèrent le pays" (Dr PANNETIER 1918)

Le Cambodge était un pays d'abondance, au moins pour la nourriture. "Travailler" se traduisait "Aller chercher à manger". Ce besoin satisfait, pourquoi continuer à se fatiguer inutilement? On ne travaillait que poussé par la nécessité. Mais le paysan travaille dur: "Lents, patients, durs à la fatigue, les paysans ne méritent guère la réputation de paresse invétérée que leur ont fait presque tous les auteurs européens se copiant les uns les autres..." AYMONIER "Le Cambodge ".

Celui qui a été à l'école, prestige du savoir oblige, refusera un travail manuel, même en tant que technicien.
Il n'y a pas de honte à ne pas travailler, à être au chômage ou à se faire nourrir par autrui : aujourd' hui encore un seul membre de la famille peut, par son travail, nourrir toute la maisonnée.

Une fois urbanisé, complexé par sa peau noire, il ne veut pas être au soleil : sur les chantiers de génie civil, routes, canaux, les Khmers enverront leurs femmes et laisseront des Vietnamiens les diriger.
Les métiers manuels sont tenus par des Vietnamiens; le Khmer a horreur de réparer et même de bricoler. Il est pourtant très inventif et débrouillard ( situation economique oblige!) et parvient a réparer ou reconstruire avec rien. Il peut tout a fait prendre un emploi pour obtenir en salaire, une somme dont il a un besoin ponctuel, et ne plus venir travailler, sans rien dire ni s'expliquer dès lors que la somme est gagnée.
Le commerce et la banque sont tenus par les Chinois ; le Khmer a un saint dégout pour les affaires. ( La suppression de la monnaie par les Khmers rouges a été une mesure bien accueillie )
Rapporté au nombre d'habitants et à son budget le Cambodge a toujours détenu le record du monde du nombre de fonctionnaires. Alors que tout est à reconstruire, son gouvernement est pléthorique et crée un nombre toujours croissant d'autorités gouvernementales investies de tout pouvoir sur des sujets particuliers..souvent inutiles. Le budget de l'Etat ne peut pas payer les fonctionnaires qui sont, et ont toujours été, implicitement autorisés à pratiquer la concussion. pour vivre..

Il est d'ailleurs à remarquer que Pol Pot, fin connaisseur de son monde khmer, avait procédé à l'inverse des coutumes : un gouvernement restreint, invisible et anonyme, des fonctionnaires peu nombreux et aux ordres. Mais il était pressé d'atteindre un monde meilleur et avait confondu la fin et les moyens.

Des sept péchés capitaux judéo-chrétiens, orgueil, envie, avarice, luxure, gourmandise, colère, paresse, trois déclencheront immanquablement l'opprobre publique : colère, avarice et luxure. Les autres laissent indifférents.

Manifester sa colère par de brusques épanchements, c'est perdre la face et déchoir. Il vaut mieux se taire, fuir ou tirer sans sommations.

Le "Setheï caumnang", le richard avare, est le personnage le plus ridicule des contes populaires. L'Avare de Molière traduit en Khmer rencontre un succès de foule constant.

La luxure est un comportement impensable car réservé aux dieux et aux rois, culturellement interdit au peuple. La femme khmère est chaste, fidèle et prude. Les moeurs privés sont beaucoup plus réservés que celles des peuples environnants. Au Cambodge les prostituées sont vietnamiennes, tares et déviations sexuelles sont réputées, à raison, venir de l'étranger. D'ailleurs le mot prostituée, et la pratique, n'existaient pas autrefois...C'eût été être en dessous de l'esclave!

Le caractère chaste de la statuaire d'Angkor qui a horreur des nudités complètes est un trait profondément Cambodgien. Cette disposition de pudeur innée se retrouve dans les moeurs actuelles. Les maillots de bains en vente sur les marchés sont rares et ne dénudent que peu de choses. De toute evidence ils ne sont pas proposés aux femmes khmères. Sur les plages de Sihanoukville, les cambodgiennes se baignent en sampot. Les rares qui utilisent les maillots occidentaux sont celles qui ont vécues à l' étranger pour un temps suffisant.

Le Khmer est gai. Il a un sens du comique et de la fête.
Le Cambodge doit posséder le record du monde des jours fériés. Tout est prétexte à réjouissance et la vie économique s'en ressent.

Le Khmer est à la fois sensuel et pudique.
La littérature populaire est d'une robuste gaillardise et d'une rare verdeur.

Ses estimes sociales sont conjecturales et opportunistes : un nombre très restreint de familles (moins de dix) concentrent le pouvoir politique et forment des clientèles aussi intéressées que volatiles, liées par des rapports de soumission et d'argent.

Ses amitiés sont très sélectives mais immédiates, inconditionnelles et durables. Il portera une amitié, un attachement indéfectible à qui lui aura rendu service dans une passe difficile. Mais un ton de voix trop rude, une attitude jugée méprisante, un regard courroucé, un geste trop brusque suffiront à le faire fuir d'une façon non moins définitive.

Le concept de soumission en Asie n'a pas la même résonance qu'en Occident et se situe même à l'opposé. Loin d'être assimilé à une humiliation, il l'est à la raison. Le but ultime de la vie dans la misère de l'Asie est tout simplement de survivre.

Pour l'homme né misérable, la sécurité ne peut être assurée que par un maître qui, en échange de la soumission et des services rendus, assurera gîte, nourriture et surtout protection. C'est alors la fin de l'isolement qui, en Asie, signifie la mort certaine à plus ou moins bref délai.

Se soumettre au plus fort, alors que s'opposer à lui est risquer la mort, constitue un acte raisonnable, un acte de bonne conduite sociale. La société traditionnelle est conçue un peu comme une classe dirigée par un instituteur sourcilleux qui distribue des bons points pour la meilleure conduite et obéissance. Dans la société asiatique, on ne saurait être original. Sortir du troupeau est assimilé à l'arrogance. L'insoumis est un tigre, animal cruel et asocial.

Or, n'a pas la chance de trouver à se soumettre qui veut. Chacun veut bien se soumettre mais encore faut-il trouver quelqu'un qui accepte cette soumission en remarquant ses qualités.

Cependant la soumission est calculée : elle n'est ni servile, ni définitive. Le maître doit la mériter en apportant la preuve constante qu'il est le plus fort et donc peut assurer la protection.
C'est le prix qu'il a à payer. Au moindre signe de faiblesse, il n'est plus respecté comme important, celui qui donne l'ombre, selon l'expression de l'Asie, et donc il n'est plus utile de le servir. Le soumis démontre alors son habileté en cherchant un nouveau maître. Ce qui pour un Occidental est opportunisme forcené est pour l'Asiatique art de survivre. A quoi bon mourir pour un incapable. Ce n'est pas trahir mais chercher une légitime amélioration de son sort. On pourrait parler de progression sociale. En conséquence, la confiance accordée aux disciples, subordonnés, soldats, etc., dépend de la force que l 'on possède, non pas envers eux, mais envers la société et tout ennemi. Ainsi, le soumis veut savoir qui est réellement le plus fort de tous car ce sera lui le meilleur protecteur. Sa vie peut avoir comme emblème la girouette.

Pourtant, il se considère seulement comme astucieux de suivre le vent et il ne comprend pas les critiques de l'occidental.
Retourner sa veste n'est pas manquer à sa promesse, car dans ce cas, c'est toujours le maître qui a tort: il n'avait qu'à demeurer le plus fort s'il voulait que ses gens restent à son service. C'est avoir une grande face, pour un chef, que d'avoir de nombreux subordonnés mais encore faut-il les conserver. Ils sont une masse extrêmement mobile.

Le combattant, guérillero marxiste ou non, applique cette règle. Changer de camp est admis. Cela facilite les infiltrations par de faux défecteurs, antique ruse utilisée maintes fois dans les trois royaumes. Il s'agit alors de sonder la sincérité du défecteur, non pas en lui proposant une épreuve cruelle dans laquelle il risquera sa vie, mais en lui demandant un plan qui permettra de nuire de manière très conséquente à son ex-maître. Dans ce recrutement des défecteurs, se retrouve le pragmatisme de l'Asie : il est plus utile de grossir ses rangs de déserteurs que de les tuer.

C'est en se fondant sur ces notions que les gouvernements font sans cesse des offres d'amnistie. Ils sont les plus forts, le guérillero doit être raisonnable en se soumettant à eux. ( cf les Khmers rouges en 1996/1997) Il sera reçu comme l'enfant prodigue. S'il refuse, il sera un rebelle, un têtu, un mauvais sujet, un vaurien, etc., les qualificatifs ne manquant pas en ce domaine. Le guérillero accepte de se soumettre à partir du moment où il perçoit qu'il a fait le mauvais choix. Son reniement est accepté par les deux côtés et il n 'y a pas de représailles. La société considère qu 'il s 'est réinséré et les guérilleros qu 'ils ne peuvent s 'opposer à son choix du moyen de survivre. Si les gouvernements ne tiennent pas leur promesse ils seront considérés comme sans honneur, car l'honneur consiste à bien traiter les soumis.

On est loin du marxisme et de l'occident qui l 'a créé. C'est une lapalissade de dire qu'en Asie, l'Asie reste l'Asie. La valeur de la soumission l'emporte toujours sur celle de la révolte. Se rendre, capituler, est recommandé si cette attitude est la solution correcte. Camerone ne sera pas pour l'honneur des armes mais seulement si l'ennemi n'accepte pas la soumission et ne laisse donc pas d'autre choix.

On comprend mieux comment les habitants de Phnom Penh ont suivi sans s 'y opposer, les instructions des Khmers Rouges en Avril 1975 et pourquoi aujourd 'hui alors que le monde entier parle de procès, de tribunal et de justice internationale, les cambodgiens , tous autant qu 'ils sont ou presque, s 'opposent au procès de leurs anciens tortionnaires. Seuls les hommes politiques cambodgiens d 'aujourd'hui, pressés par leurs homologues internationaux, et sachant combien l'aide au Cambodge est nécessaire vont s'engager par opportunisme, à reculons dans la voie d' un procès.